Le Mont Lu de Su Shi

ti xi lin bi
Le mont vu de côté n'est qu’une crête belle,
Mais il se transforme, vu de près ou de loin.
On ne connaît pas la montagne telle quelle
Parce qu’on ne peut l’apercevoir que dans un coin.

Poème chinois

「题西林壁」
横看成岭侧成峰,远近高低各不同。
不识庐山真面目,只缘身在此山中。

苏轼

Explication du poème

Ce poème fut gravé par Su Shi sur les murs du temple Xilin lors de sa visite au mont Lu. À cette époque, ayant traversé maintes vicissitudes politiques, sa vision et son état d'esprit avaient atteint une pleine maturité. Ce court poème, par sa description concise et vivante, recèle une profondeur philosophique, représentant l'un des chefs-d'œuvre poétiques de Su Shi qui continue de résonner à travers les âges.

Premier distique : « 横看成岭侧成峰,远近高低各不同。 »
Héng kàn chéng lǐng cè chéng fēng, yuǎn jìn gāo dī gè bù tóng.
De face, une chaîne montagneuse ; de profil, des pics altiers.
Loin ou près, haut ou bas - chaque perspective diffère.

En une langue extrêmement dépouillée, le poète saisit la multiplicité des paysages du mont Lu selon les angles d'observation. Cette variation naturelle prépare habilement la révélation philosophique ultérieure. Les termes "de face/de profil" et les oppositions spatiales suggèrent subtilement la relativité des perceptions, métaphore des divergences dans les expériences humaines.

Second distique : « 不识庐山真面目,只缘身在此山中。 »
Bù shí Lúshān zhēn miànmù, zhǐ yuán shēn zài cǐ shān zhōng.
Pourquoi ne pas discerner le vrai visage du mont Lu ?
Tout simplement parce que j'en fais moi-même partie.

Le premier vers opère la transition vers l'abstraction, le second en délivre l'essence. La montagne devient allégorie des limites cognitives : la proximité empêche la vision objective. Cette intuition dépasse l'observation physique pour éclairer la compréhension politique, existentielle et affective.

Lecture globale

En quatre vers d'une structure impeccable - description puis méditation - Su Shi transforme les métamorphoses du mont Lu en miroir cognitif. Ce passage naturel du concret à l'abstrait manifeste l'art suprême d'unifier paysage et sagesse. Sans recourir à un langage obscur, le poète énonce des vérités universelles, incarnant son idéal d'une poésie porteuse de sens.

La dynamique du poème est remarquable : des visions multiples ("de face/de profil") aux positions changeantes ("loin/près"), jusqu'à l'illumination finale ("faire partie de la montagne"), le lecteur est conduit vers une transcendance des limites perceptives.

Spécificités stylistiques

  1. Fusion image-idée : La beauté naturelle véhicule une réflexion métaphysique
  2. Contraste éclairant : Les variations visuelles révèlent l'incomplétude cognitive
  3. Économie suggestive : Vingt-huit caractères seulement, mais d'une résonance infinie
  4. Résonance spirituelle : L'"être-dans-la-montagne" évoque aussi bien l'attachement bouddhique que la perspicacité taoïste

Éclairages

Ce poème révèle que toute connaissance - d'une personne, d'un événement - reste partielle si l'on reste prisonnier de sa position initiale. Seuls le décentrement et l'abandon des préjugés permettent l'accès à la vérité. Le mont Lu devient ici un "miroir cognitif" où Su Shi, transcendant ses propres épreuves, offre une leçon de lucidité et de sagesse. Son éclat traverse les siècles, invitant à une relecture perpétuelle.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Su Shi

Su Shi (苏轼), 1036 - 1101 après J.-C., originaire de la ville de Meishan, dans la province du Sichuan, était un écrivain talentueux de la dynastie des Song du Nord. Il était très doué pour la poésie, la prose et la fugue.

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