Le soleil tombe tout à coup à l’ouest;
La lune monte peu à peu à l’est.
Je prends le frais, la tête découverte;
Et me couche à l’aise, la porte ouverte.
La brise apporte de lotus le parfum doux;
La rosée s’égoutte sur les bambous.
Je voudrais jouer du luth, mais qui va prendre
Plaisir à la musique qu on va entendre?
Comment puis-je ne pas songer à lui?
Voudrait-il venir à mon rêve à minuit?
Poème chinois
「夏日南亭怀辛大」
孟浩然
山光忽西落, 池月渐东上。
散发乘夜凉, 开轩卧闲敞。
荷风送香气, 竹露滴清响。
欲取鸣琴弹, 恨无知音赏。
感此怀故人, 中宵劳梦想。
Explication du poème
Ce poème a été composé par Meng Haoran lors d'une nuit passée chez des parents dans leur studio du Sud (南斋 Nán zhāi). La date exacte n'est pas connue, mais il fut probablement écrit pendant sa période de retraite à Xiangyang (襄阳 Xiāngyáng). Vivant alors dans une quiétude rustique, loin des honneurs officiels, le poète trouvait son bonheur dans la contemplation des paysages. Ce poème, dépeignant une nuit de fraîcheur, mêle sérénité et mélancolie discrète, dans une expression naturelle et raffinée.
Premier couplet : « 山光忽西落,池月渐东上。 »
Shān guāng hū xī luò, chí yuè jiàn dōng shàng.
Les lueurs des montagnes s'éteignent soudain à l'ouest, / La lune sur l'étang monte peu à peu à l'est.
Le contraste entre « 忽 hū » (soudain) et « 渐 jiàn » (graduel) saisit la transition entre le jour et la nuit, tout en reflétant le passage intérieur du poète vers l'apaisement.
Deuxième couplet : « 散发乘夜凉,开轩卧闲敞。 »
Sàn fà chéng yè liáng, kāi xuān wò xián chǎng.
Cheveux dénoués, je goûte la fraîcheur nocturne, / J'ouvre la fenêtre, m'étendant dans la spacieuse quiétude.
Ces gestes libres illustrent la symbiose entre le confort physique et la tranquillité d'esprit, propre à la vie d'ermite.
Troisième couplet : « 荷风送香气,竹露滴清响。 »
Hé fēng sòng xiāng qì, zhú lù dī qīng xiǎng.
La brise des lotus apporte son parfum, / La rosée sur les bambous tombe en un clair tintement.
Mobilisant l'odorat et l'ouïe, ces vers tissent une atmosphère sensorielle d'une délicatesse presque palpable.
Quatrième couplet : « 欲取鸣琴弹,恨无知音赏。 »
Yù qǔ míng qín tán, hèn wú zhīyīn shǎng.
Je veux prendre mon luth pour jouer, / Hélas ! nul ami ne saurait l'apprécier.
La mélancolie perce ici : le désir de partager sa musique bute sur l'absence de « 知音 zhīyīn » (âme sœur), créant une tension entre plénitude et solitude.
Cinquième couplet : « 感此怀故人,中宵劳梦想。 »
Gǎn cǐ huái gùrén, zhōng xiāo láo mèngxiǎng.
Ému par ce moment, je songe à mes vieux amis, / Toute la nuit, mon esprit s'épuise en rêveries.
La conclusion, fluide, transforme la nostalgie en rêves prolongés, mêlant réel et imaginaire avec une douce amertume.
Lecture globale
Ce poème débute par une évocation paysagère pour s’achever sur une note mélancolique, dépeignant une nuit d’été solitaire dans le studio du Sud, à la fois fraîche et élégante. Derrière la finesse des descriptions se cachent une solitude discrète et une nostalgie profonde. Le poète exprime des émotions intenses à travers des mots simples, révélant, au gré des changements cosmiques et des murmures de la nature, une quiétude teintée de mélancolie. Le vers « Je veux prendre mon luth pour jouer, / Hélas ! nul ami ne saurait l’apprécier » (欲取鸣琴弹,恨无知音赏) dévoile le fil émotionnel le plus poignant : bien qu’immergé dans un cadre serein, le poète, privé de compagnie et de « connoisseur » (知音), se sent profondément seul. La conclusion, « Toute la nuit, mon esprit s’épuise en rêveries » (中宵劳梦想), transporte cette émotion dans le domaine onirique, enrichissant le poème d’une résonance à la fois subtile et infinie. D’une apparente simplicité, ce poème recèle une profondeur affective, où chaque mot, bien que léger, est chargé de sens.
Spécificités stylistiques
Le poète excelle dans l’art de créer une atmosphère par des descriptions sensorielles, déployant progressivement la beauté de la nuit d’été à travers la vue, l’odorat et l’ouïe. Son langage, élégant et naturel, suit un rythme fluide et harmonieux. Bien que dépourvu d’émotions exacerbées, le poème se distingue par sa délicatesse et sa douce mélancolie, laissant une impression durable. Sur le plan émotionnel, il glisse de la quiétude vers la solitude, puis du réel vers le rêve, mêlant tangible et intangible, paysage et sentiment. Sa structure, claire et équilibrée, allie fluidité expressive et profondeur artistique, illustrant le charme d’une « simplicité au goût infini » (淡中有味).
Éclairages
Ce poème nous rappelle qu’au-delà des tumultes du monde, l’esprit humain a besoin d’un refuge paisible pour apaiser ses émotions et contempler son for intérieur. À travers le paysage nocturne, le poète fait émerger des sentiments de solitude et de nostalgie, exprimant non seulement la tristesse de ne pas trouver d’âme sœur, mais aussi une autre manière d’appréhender l’existence, où rythme et beauté se conjuguent avec harmonie. La poésie ne réside pas toujours dans les grands sujets, mais souvent dans les détails du quotidien et les émotions subtiles qu’ils inspirent. Cette expression à la fois retenue et profonde incarne l’éternel charme de la poésie classique chinoise.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Meng Haoran (孟浩然), 689 - 740 après J.-C., originaire de Xiangyang, Hubei, était un célèbre poète de la dynastie Sheng Tang. Meng Haoran, poète exceptionnel sous le règne de l'empereur Kaiyuan, a composé un grand nombre de paysages et de poèmes idylliques afin d'enrichir le sujet de sa poésie.