Au vent d’ouest glacial vous êtes florissant;
Votre parfum n’attire nuis papillons ailés.
Si je devenais un jour maître du printemps,
Je vous ferais fleurir avec la fleur de pêcher.
Poème chinois
「题菊花」
黄巢
讽讽西风满院栽,蕊寒香冷蝶难来。
他年我若为青帝,报与桃花一处开。
Explication du poème
Ce poème fut composé vers 875, période où Huang Chao, échouant aux examens impériaux, nourrissait une profonde amertume. Futur chef de la révolte paysanne, il exprimait dans ses vers sa révolte contre l'injustice sociale et son idéal d'égalité. Sous couvert de célébrer les chrysanthèmes, ce poème cache en réalité une allégorie politique - les fleurs symbolisant à la fois le peuple opprimé et sa propre détermination inflexible à changer le cours du destin.
Premier distique : « 飒飒西风满院栽,蕊寒香冷蝶难来。 »
Sà sà xī fēng mǎn yuàn zāi, ruǐ hán xiāng lěng dié nán lái.
Sous les rafales d'ouest, la cour entière se couvre de chrysanthèmes, Givrés leurs pistils, froid leur parfum - les papillons les délaissent.
La première moitié dépeint des chrysanthèmes ondoyant dans le vent d'automne, d'une majesté peu commune. "La cour entière" rompt avec la tradition poétique des chrysanthèmes solitaires, évoquant plutôt les masses populaires rassemblées. "Givrés leurs pistils" suggère une floraison inopportune dans le froid automnal, privée des papillons qui butinent les fleurs printanières. Cette "malchance saisonnière" ne relève plus du complexe du lettré méconnu, mais traduit la compassion du poète pour le peuple souffrant et sa révolte face à cette injustice.
Second distique : « 他年我若为青帝,报与桃花一处开。 »
Tā nián wǒ ruò wéi qīng dì, bào yǔ táo huā yī chù kāi.
Si un jour je devenais l'Empereur Bleu du printemps, J'ordonnerais aux chrysanthèmes de fleurir avec les pêchers !
Ce distique marque l'explosion d'une vision révolutionnaire. Le poète s'imagine en souverain mythique des saisons (l'Empereur Bleu), capable de modifier le destin des chrysanthèmes pour qu'ils jouissent des douceurs printanières. Cette fantaisie poétique porte un message politique radical : s'il accédait au pouvoir, les opprimés (chrysanthèmes) partageraient les privilèges des élites (fleurs de pêcher). "Je deviendrais l'Empereur Bleu" incarne non plus une supplique au ciel, mais une affirmation de maîtrise sur son destin.
Lecture globale
Ce poème allégorique transcende son sujet apparent par une langue limpide chargée de fougue. Le premier distique décrit la condition des chrysanthèmes - parfum dans le froid, sans papillons - reflétant l'indignation du poète face à la réalité sociale. Le second opère une transmutation de la pitié en volonté d'action. Innovation majeure : les chrysanthèmes, traditionnellement symboles de l'érudit solitaire, deviennent ici la métaphore des masses laborieuses. "La cour entière" et "Je deviendrais l'Empereur Bleu" marquent une rupture poétique et l'éveil d'une conscience révolutionnaire paysanne, fusion unique d'art et de revendication sociale.
Spécificités stylistiques
Le poème maîtrise l'art chinois du "comparaison-allégorie" (比兴), associant le chrysanthème givré à la souffrance populaire, la fleur de pêcher printanière aux privilèges établis - créant un contraste saisissant. Le langage, d'apparence simple, possède une force tellurique. La structure, rigoureuse, progresse du réel à l'idéal, traçant une courbe émotionnelle puissante. La vision "Je deviendrais l'Empereur Bleu", tout en étant une fantaisie lyrique, constitue une protestation politique ouverte, révélant une avant-garde tant littéraire que révolutionnaire.
Éclairages
Plus qu'un poème floral, c'est un manifeste de révolte qui incarne la confiance des opprimés à changer leur destin. Le poète, refusant la marginalisation des chrysanthèmes, s'arroge le rôle de souverain des saisons - symbolisant le passage de la plainte à l'action. Cette pensée reflète les aspirations égalitaires des révoltes paysannes chinoises, rappelant à la postérité que la justice véritable ne s'obtient pas par supplication, mais par la volonté de transformer l'ordre établi. La fougue du poème évite toute vulgarité, son lyrisme toute illusion - il irradie d'une force spirituelle à la fois profonde et indomptable.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Huang Chao (黄巢), 820 - 884 de notre ère, originaire de Heze, dans la province du Shandong, était un leader des révoltes paysannes à la fin de la dynastie Tang. Huang Chao était issu d'une famille de marchands de sel, était doué pour l'équitation et le tir, avait une connaissance approximative de l'écriture et de l'encre, et avait peu de talent poétique. Huang Chao pouvait lire des poèmes à l'âge de cinq ans, mais à l'âge adulte, il ne réussissait pas les examens. Une année, une grave sécheresse sévit dans l'est du pays et les fonctionnaires obligèrent le peuple à payer un loyer et des impôts et à servir de travailleurs. Le peuple, désespéré, se rassembla autour de Huang Chao et engagea des conflits armés avec les fonctionnaires de la cour des Tang. En 884, Huang Chao fut vaincu et mourut dans la vallée du Tigre-Loup.