Après départ j’ai rêvé de la cour
Où la balustrade fait des détours.
Pour toi seule la lune printanière
Éclaire encore les fleurs tombées par terre.
Poème chinois
「寄人」
张泌
别梦依依到谢家,小廊回合曲阑斜。
多情只有春庭月,犹为离人照落花。
Explication du poème
Ce poème de Zhang Bi, poète de la fin des Tang, exprime la nostalgie profonde d’un amour passé. Né en une époque troublée, doté d’un talent rare, Zhang Bi cultiva un style à la fois limpide et mélancolique. Cette œuvre fut probablement composée après une séparation imposée par le destin, les conventions ou les rigidités sociales—un chant d’amour où la passion se voile de pudeur. À travers les motifs du « rêve » et de la « lune », le poète construit un monde à la fois tangible et onirique, dépeignant une solitude traversée de souvenirs.
Premier distique : « 别梦依依到谢家,小廊回合曲阑斜。 »
Bié mèng yīyī dào Xiè jiā, xiǎo láng huíhé qǔ lán xié.
Mon rêve, lentement, me ramène chez toi, demeure des Xie,
Où les couloirs sinuent et les balustres penchent, familiers.
Le vers s’ouvre sur l’image du « rêve d’adieu » (别梦), révélant une obsession diurne qui se transforme, la nuit, en pèlerinage inconscient. « Demeure des Xie » (谢家) évoque discrètement la bien-aimée, peut-être par allusion à Xie Daoyun, poétesse célèbre, ajoutant une touche d’érudition tendre. Le décor onirique—les couloirs familiers, les balustres inclinés—est celui des jours partagés. Le poète revisite ces lieux par le rêve, utilisant le paysage comme miroir émotionnel, entre palpitation des retrouvailles et désolation de l’absence.
Second distique : « 多情只有春庭月,犹为离人照落花。 »
Duōqíng zhǐyǒu chūn tíng yuè, yóu wèi lírén zhào luòhuā.
Seule la lune printanière, compatissante,
Éclaire encore pour l’exilé du cœur les pétales tombés.
Devant la cour déserte et l’aimée disparue, le poète transfère son affection à la « lune printanière » (春庭月). Cette lune, témoin de leurs instants passés, continue d’éclairer les fleurs fanées—et par extension, le rêveur solitaire. La lune, douée de sensibilité, devient un contraste poignant avec le silence de l’être cher. Les « pétales tombés » (落花), symbole classique de l’amour évanoui, traduisent autant la mélancolie du temps qui fuit que l’espoir ténu d’une mémoire partagée. Le dernier vers, suspendu entre lumière et déclin, résume l’essence du lyrisme de Zhang Bi : une élégie pudique où chaque image porte le poids du soupir.
Lecture globale
Ce poème, bien que bref, déploie une profonde mélancolie. Le poète prend le rêve comme fil conducteur pour décrire avec finesse un retour imaginaire dans un lieu familier, où les paysages demeurent inchangés mais où l'être cher a disparu, révélant ainsi sa nostalgie poignante. Des termes comme "petit corridor" et "balustrades sinueuses" créent des images vivantes, dessinant un espace à la fois doux et mélancolique. La lune, témoin des joies passées et miroir de la solitude présente, devient le messager silencieux de ses sentiments. Les pétales tombant au vent, la cour déserte - avec une émotion contenue et un style subtil, le poète exprime une longue attente sans espoir.
Spécificités stylistiques
Ce poème fusionne paysage et sentiment, mêlant réel et imaginaire. Zhang Bi excelle à utiliser le rêve et le symbolisme pour exprimer l'émotion, donnant à l'œuvre une puissante force artistique. Le premier couplet tisse rêve et réalité ; le second utilise la lune et les fleurs tombantes comme symboles chargés de sens. Le langage, d'une élégante simplicité, s'apparente aux chansons populaires tout en atteignant une profondeur émotionnelle remarquable. En vingt-huit caractères seulement, le poète exprime une nostalgie à la fois subtile et profonde, démontrant son exceptionnel talent artistique.
Éclairages
Après les séparations, l'homme revient souvent par le rêve aux lieux du bonheur perdu, et c'est dans la poésie qu'il dépose les sentiments indicibles. Le poète, utilisant la lune et les fleurs comme symboles de constance et de perte, nous rappelle de chérir les présents, tout en illustrant la beauté spirituelle de la fidélité au souvenir. À travers les époques, cette émotion à la fois délicate et sincère continue de toucher les cœurs.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Zhang Bi(张泌), poète de la fin de l'époque Tang, originaire de Yangzhou dans le Jiangsu. Son œuvre, principalement consacrée aux sentiments amoureux et aux paysages naturels, présente un style situé à mi-chemin entre celui de Wen Tingyun et de Wei Zhuang. Wang Guowei le classe parmi les poètes de l'« École des Fleurs » (花间派). Bien que son corpus soit restreint, son influence sur la poésie chantée du début des Song est notable.