La lune décroissante est suspendue
Aux branches clairsemées du platane,
La voix s’éteint, la clepsydre ne goutte plus.
Qui regarde là s’avancer un reclus?
C’est un cygne dont l’ombre se fane.
Il tourne la tête et tressaille de peur;
Personne ne comprend le chagrin de son cœur.
Regardant çà et là,
Il ne veut se percher sur aucun rameau:
Il préfère le froid
Et la solitude sur un javeau.
Poème chinois
「卜算子 · 缺月挂疏桐」
苏轼
缺月挂疏桐,漏断人初静。
谁见幽人独往来,缥缈孤鸿影。
惊起却回头,有恨无人省。
拣尽寒枝不肯栖,寂寞沙洲冷。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Su Shi durant son exil à Huangzhou, alors qu'il résidait au monastère Dinghui. À cette période de grande adversité, marquée par des revers politiques et une existence errante, le poète utilise les images de la lune nocturne et d'une oie solitaire pour exprimer son âme altière et ses aspirations non conformistes, révélant une posture spirituelle qui, malgré la disgrâce, préserve sa noblesse et méprise les conventions mondaines.
Première strophe : « 缺月挂疏桐,漏断人初静。谁见幽人独往来,缥缈孤鸿影。 »
Quē yuè guà shū tóng, lòu duàn rén chū jìng. Shuí jiàn yōu rén dú wǎnglái, piāomiǎo gū hóng yǐng.
Une lune décroissante suspendue aux branches clairsemées d'un sterculier, La clepsydre s'arrête - le monde s'endort enfin. Qui pourrait voir l'ermite aller et venir seul ? Spectre flottant d'une oie sauvage solitaire.
Le verbe "suspendue" (挂) relie magistralement la lune céleste aux arbres terrestres, créant une atmosphère éthérée. L'"ermite" (幽人), métaphore du poète, et l'"oie solitaire" (孤鸿) symbolisent son isolement et son intégrité inaltérable, établissant le ton élégiaque et pur de l'œuvre.
Seconde strophe : « 惊起却回头,有恨无人省。拣尽寒枝不肯栖,寂寞沙洲冷。 »
Jīng qǐ què huítóu, yǒu hèn wú rén xǐng. Jiǎn jìn hán zhī bù kěn qī, jìmò shāzhōu lěng.
Soudain effarouchée, elle se retourne - Portant un ressentiment que nul ne comprend. Ayant inspecté chaque rameau glacial sans s'y poser, Elle choisit le banc de sable désert et froid.
L'oie anthropomorphisée incarne sensibilité, amertume et fierté indomptable. "Inspecté chaque rameau" (拣尽) et "refusé de se percher" (不肯栖) soulignent son refus des compromis, tandis que "désert" et "froid" révèlent l'acceptation stoïque de l'isolement par le poète.
Lecture globale
Sur fond de clair de lune, cette ode à l'oie solitaire tisse des motifs réels et imaginaires pour peindre un lettré incompris. Su Shi, s'identifiant à l'oiseau, dépeint autant sa condition d'exilé que son inflexibilité morale. Le langage délicat et l'imaginaire profond fusionnent paysage et émotion, créant une beauté austère et sublime.
Spécificités stylistiques
L'art suprême réside dans "l'expression par allégorie" (托物寓怀) - l'oie symbolisant l'ermite, transformant le concret en émotion abstraite. Le jeu entre réel et imaginaire, mouvement et immobilité, forge un univers à la fois aérien et mélancolique. Le vocabulaire précis et les phrases épurées, chargées d'émotion contenue, font de ceci un chef-d'œuvre de lyrisme philosophique chez Su Shi.
Éclairages
Ce poème enseigne qu'au cœur de l'adversité, on peut préserver sa clarté intérieure. Su Shi, bien que disgracié, refuse de se conformer, adoptant la dignité de l'oie solitaire. Cette posture, témoignant d'une forte conscience individuelle, offre un modèle éternel de résistance spirituelle face à l'infortune.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète:
Su Shi (苏轼), 1036 - 1101 après J.-C., originaire de la ville de Meishan, dans la province du Sichuan, était un écrivain talentueux de la dynastie des Song du Nord. Il était très doué pour la poésie, la prose et la fugue.