Promenade par les Monts de Mei Yaochen

lu shan shan xing
Il me plaît de rôder par les monts,
Qui changent, n’importe où, de face.
Seul sur un sentier aux buissons,
Je m’égare et en perds la trace.
Un beau cerf boit à un ruisseau;
Un ours monte à un arbre en vue.
Où peut-on trouver un hameau?
Un chant du coq perce la nue.

Poème chinois

「鲁山山行」
适与野情惬,千山高复低。
好峰随处改,幽径独行迷。
霜落熊升树,林空鹿饮溪。
人家在何许?云外一声鸡。

梅尧臣

Explication du poème

Ce poème fut composé durant la dynastie des Song du Nord. Il s'agit d'une œuvre écrite par Mei Yaochen alors qu'il gravissait le mont Lu, dépeignant les paysages et émotions éprouvés lors de son voyage automnal en montagne. Mei Yaochen fut l'un des poètes majeurs ayant succédé au "style Kunlun occidental" des Song du Nord. Prônant "émouvoir par les faits" et "prendre la raison pour poésie", ses poèmes montagnards se distinguent par leur dépouillement élégant, leur naturel authentique, loin des ornements excessifs. "Voyage en montagne au Lu Shan" en est un représentant emblématique, où il saisit avec sensibilité les paysages pour exprimer son profond amour et compréhension de la nature.

Premier couplet : « 适与野情惬,千山高复低。 »
Shì yǔ yě qíng qiè, qiān shān gāo fù dī.
Heureuse concordance avec mon âme éprise de nature sauvage -
Mille montagnes, tantôt hautes, tantôt basses, à perte de vue.

Le poète établit d'emblée une communion parfaite entre son tempérament ("野情" - âme sauvage) et le paysage. L'alternance des altitudes ("高复低") crée un rythme visuel qui épouse les mouvements intérieurs du marcheur. La conjonction "适" (justement, parfaitement) suggère une rencontre prédestinée entre l'homme et la montagne.

Deuxième couplet : « 好峰随处改,幽径独行迷。 »
Hǎo fēng suí chù gǎi, yōu jìng dú xíng mí.
Belles cimes se métamorphosant à chaque pas -
Sentier secret où ma marche solitaire s'égare.

L'observation dynamique ("随处改") traduit l'immersion totale dans le paysage. Le paradoxe du "迷" (égarement) volontaire révèle un abandon délibéré à la nature, où se perdre devient une forme de plénitude. L'épithète "幽" (secret, mystérieux) pour le sentier évoque un passage initiatique.

Troisième couplet : « 霜落熊升树,林空鹿饮溪。 »
Shuāng luò xióng shēng shù, lín kōng lù yǐn xī.
Givre tombé, l'ours gravit l'arbre -
Forêt déserte, le cerf s'abreuve au ruisseau.

Scène où le dépouillement automnal ("霜落", "林空") révèle la vie secrète de la montagne. Les verbes "升" (monter) et "饮" (boire), d'une simplicité biblique, capturent des instants fugaces. La juxtaposition des deux actions crée une tension poétique entre l'ours massif et le cerf gracile, entre la verticalité arboricole et l'horizontalité aquatique.

Quatrième couplet : « 人家在何许?云外一声鸡。 »
Rénjiā zài héxǔ? Yún wài yī shēng jī.
Où donc se cachent les habitations ? -
Par-delà les nuages, un seul chant de coq.

La question rhétorique brise le silence pour mieux le souligner. Le "云外" (au-delà des nuages) spatialise l'invisible tandis que le "一声" (un seul son) transforme le cri animal en signe métaphysique. Ce coq fantomatique, à la fois présence et absence, achève de spiritualiser le paysage.

Lecture globale

Ce poème déploie progressivement le paysage d'un voyage au mont Lu, construisant une vivante image de forêt automnale. Le premier couplet, vaste et profond, laisse place au second qui décrit les détails du cheminement, puis au troisième dépeignant les créatures des bois, pour finalement s'achever sur le chant d'un coq. Cette progression immersive crée une forte visualisation. Avec une langue concise, le poète saisit des scènes typiques : « mille monts, hauts et bas », « sentier solitaire où l'on se perd », « l'ours grimpe aux arbres », « le cerf boit au ruisseau », révélant ainsi les merveilles naturelles et la profondeur de leur charme sauvage. Bien qu'aucun mot ne mentionne explicitement la joie, chaque vers exhale le plaisir de la randonnée et la quiétude de l'âme.

Les vers « Où donc se cachent les hommes ? / Par-delà les nuées, un coq chante » sont particulièrement ingénieux. Ils matérialisent l'invisible en signalant une présence humaine, tout en insufflant à la montagne une âme et une vitalité. Bien que descriptif, le poème laisse sourdre une émotion naturelle, fusionnant harmonieusement scène et sentiment, comme né du ciel même.

Spécificités stylistiques

Sur le plan stylistique, le poète déploie avec une langue à la fois concise et vivante les paysages automnaux du mont Lu, dans une composition rigoureuse et un choix lexical précis. Il excelle à capturer des images évocatrices comme « l'ours grimpe aux arbres » ou « le cerf boit au ruisseau », conférant au tableau une dynamique vibrante. Scène et sentiment s'entremêlent, l'émotion évoluant avec le paysage : de l'attrait pour la nature sauvage à l'ivresse qu'elle inspire, jusqu'à la surprise répondant au chant du coq. Ceci révèle la sérénité et les plaisirs simples des bois, reflétant le style naturel, épuré et subtilement profond de Mei Yaochen, caractéristique de son art poétique.

Éclairages

Ce poème illustre l'attitude du poète, qui aborde la nature avec un cœur paisible. Il nous rappelle qu'au sein d'une vie trépidante et bruyante, nous gagnerions à ralentir, à nous immerger dans les paysages naturels pour y retrouver cette quiétude et cette liberté sauvage. Le sentier solitaire, le ruisseau clair, le brame du cerf ou le chant du coq, bien que décrits avec simplicité, recèlent une profondeur qui nous invite à redécouvrir la beauté du quotidien avec sérénité, et à nous retrouver nous-mêmes dans la nature. Cette « quiétude heureuse » constitue un ancrage spirituel dont l'homme moderne a grand besoin.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Mei Yaochen (梅尧臣, 1002 - 1060), originaire de Xuancheng dans l'Anhui, fut un poète des Song du Nord. S'opposant à l'emphase ornementale de l'école Xikun, son style simple et dépouillé contribua à l'émergence de la réforme poétique des Song. Liu Kezhuang le considérait comme le « Père fondateur de la poésie des Song ».

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