Couronné dans la capitale de laurier,
Après ma chute je reviens à ma chaumière.
Bien que je sois tombé dans la pauvreté,
Je pourrai peindre l’immense étendue de terre.
Poème chinois
「无题」
唐寅
领解皇都第一名,猖披归卧旧茅蘅。
立锥莫笑无余地,万里江山笔下生。
Explication du poème
Ce poème fut probablement composé après que Tang Yin eut quitté ses fonctions officielles pour se retirer dans la vie privée. Artiste et lettré d'exceptionnel talent, Tang Yin avait brillé dans les examens impériaux dans sa jeunesse avant que sa carrière ne soit brisée par une affaire de fraude aux examens. Rejeté du système mandarinal, il se tourna vers la nature, la poésie et la peinture. Ce poème exprime sa fierté intellectuelle, son mépris des honneurs officiels et son choix résolu de la liberté artistique.
Premier couplet : « 领解皇都第一名,猖披归卧旧茅蘅。 »
Lǐng jiě huángdū dì yī míng, chāng pī guī wò jiù máo héng.
J'ai jadis remporté le premier rang aux examens de la capitale,
Pour aujourd'hui, libre et indompté, regagner mon humble chaumière.
Le premier vers rappelle avec fierté son succès au examen provincial (解元), sommet de sa gloire officielle. "Libre et indompté" (猖披) marque la rupture avec les contraintes sociales, tandis que "regagner mon humble chaumière" scelle son retour à une vie simple. Ce contraste saisissant entre gloire passée et retrait présent révèle un rejet délibéré des compromissions du pouvoir.
Deuxième couplet : « 立锥莫笑无余地,万里江山笔下生。 »
Lì zhuī mò xiào wú yúdì, wànlǐ jiāngshān bǐ xià shēng.
Riez si vous voulez de ma pauvreté extrême -
Mais ces dix mille lieues de fleuves et monts naissent sous mon pinceau !
"Pauvreté extrême" (无立锥之地) fait référence aux classiques pour décrire son dénuement matériel. Mais le "riez si vous voulez" lance un fier défi aux conventions sociales. Le vers final est un coup de génie : "ces dix mille lieues naissent sous mon pinceau" affirme la puissance créatrice de l'artiste capable de recréer l'univers par son art. C'est à la fois un rejet du pouvoir officiel et un hymne à la suprématie de l'esprit et de la création artistique.
Lecture globale
Ce poème concis et incisif révèle une double facette : l'évocation sereine des gloires passées et le détachement face aux vicissitudes officielles, incarnant l'intégrité littéraire constante de Tang Yin. Confronté au choix entre "honneurs et disgrâces" et "retraite spirituelle", le poète opte pour ce dernier sans dévalorisation, trouvant plutôt dans l'art et la nature un refuge pour l'âme.
Spécificités stylistiques
Ce poème présente des caractéristiques stylistiques marquées. D'abord, une forte autobiographie : quatre vers résument son parcours du "premier lauréat impérial" à l'ermite des "vieux abris", avec une authenticité touchante. Ensuite, un langage épuré mais dense - termes comme "débridé", "pointe d'alène" ou "naissance du pinceau" - à la fois concrets et symboliques, démontrant une puissance expressive rare. Enfin, une structure contrastée : des honneurs bureaucratiques à la retraite bucolique, de la pauvreté matérielle à la confiance artistique, créant une tension progressive. Ces traits forment un style unique, reflet d'un caractère indomptable.
Éclairages
Ce poème sans titre de Tang Yin, d'un ton détaché mais fier, exprime la résilience du lettré après l'échec officiel. Il rappelle que la vraie valeur ne réside ni dans le pouvoir ni dans les biens matériels, mais dans le talent intérieur et la liberté spirituelle. Même privé momentanément de gloire, l'homme doit préserver ses idéaux et sa créativité. Les paysages infinis ne nécessitent pas toujours la conquête guerrière - parfois un simple pinceau suffit à transcender la médiocrité et à créer l'immortalité.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Tang Yin (唐寅, 1470 - 1524), originaire de Suzhou, fut un célèbre peintre et poète Ming. Avec Shen Zhou, Wen Zhengming et Qiu Ying, il forma les "Quatre Maîtres de Wu". Sa poésie, franche et libre, traite souvent des duretés du monde et des plaisirs lettrés, dans un style naturel et accessible, mêlant satire sociale et autodérision. Unique en son temps, il fut décrit par Xu Wei comme incarnant "la peinture dans la poésie, la poésie dans la peinture", représentant par excellence l'art littéraire de l'école de Wu.