Il y a dix ans de moi vous êtes séparée,
Je vous rencontre encor danseuse légère.
Je suis inconnu et vous n'êtes pas mariée,
Peut-être on est en bas comme naguère.
Poème chinois
「赠妓云英」
罗隐
钟陵醉别十余春,重见云英掌上身。
我未成名卿未嫁,可能俱是不如人。
Explication du poème
Composé durant les années difficiles de la carrière officielle de Luo Yin, ce poème évoque une rencontre fortuite avec Yunying - peut-être une figure réelle ou un amour de jeunesse - après une longue séparation. À travers cette rencontre, le poète ressuscite des souvenirs heureux tout en exprimant, par le biais du destin de cette femme, sa propre frustration face à un talent méconnu et des ambitions contrariées.
Premier couplet : « 钟陵醉别十余春,重见云英掌上身。 »
Zhōng líng zuì bié shí yú chūn, chóng jiàn Yúnyīng zhǎng shàng shēn.
Adieu ivre à Zhongling voilà plus de dix printemps, En revoyant Yunying, ce corps qui tiendrait sur la paume.
Le "ivre" évoque la passion passée, tandis que "dix printemps" souligne l'écoulement du temps. La référence à Zhao Feiyan, célèbre danseuse capable de danser sur une paume, peint Yunying avec une grâce intacte. Ce couplet, qui passe naturellement de la séparation aux retrouvailles, recèle une mélancolie temporelle sous son apparente tendresse.
Deuxième couplet : « 我未成名卿未嫁,可能俱是不如人。 »
Wǒ wèi chéngmíng qīng wèi jià, kěnéng jù shì bùrú rén.
Moi sans gloire, toi sans mariage, Serions-nous donc inférieurs aux autres ?
Le poète tourne ici de son propre sort vers leur destin partagé. "Sans gloire" répond à la question implicite de Yunying, tandis que "sans mariage" exprime sa compassion pour elle. La dernière ligne, apparemment modeste, est en réalité une ironie mordante - une remise en question des critères sociaux et une protestation voilée contre l'injustice de leurs sorts respectifs.
Lecture globale
À travers cette rencontre fortuite, Luo Yin exprime une méditation profonde sur son propre destin. En célébrant la beauté persistante de Yunying, il introduit subtilement ses propres échecs, intégrant habilement son amertume personnelle dans un dialogue avec une ancienne connaissance. Le ton reste mesuré - la tristesse sans colère, la profondeur sans emphase. D'une simplicité linguistique remarquable, le poème progresse des souvenirs aux retrouvailles, de l'émotion à la question rhétorique, combinant tendresse et révolte, avec une conclusion d'une concision et d'une puissance extraordinaires.
Spécificités stylistiques
- Construction ingénieuse : La rencontre sert de prétexte à l'expression personnelle
- Technique du reflet : L'éloge de Yunying reflète son propre talent méconnu
- Allusion historique : La référence à Zhao Feiyan ajoute une dimension classique
- Ironie subtile : La dernière ligne transforme l'apparente modestie en protestation
Éclairages
Ce poème révèle le fossé fréquent entre le mérite et le destin, et l'injustice des jugements mondains. "Inférieurs aux autres", en surface auto-dépréciatif, constitue en réalité une satire sociale acerbe. À travers le sort de Yunying, Luo Yin reflète ses propres luttes, démontrant une ténacité inébranlable face à l'adversité. L'œuvre incarne une posture vitale où la sérénité apparente cache une détermination inflexible, et la mélancolie, une lame toujours affûtée. Une leçon intemporelle sur la préservation de sa valeur intrinsèque face aux caprices du destin.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Luo Yin (罗隐), 833 - 909 après J.-C., était un poète de la dynastie Tang, originaire de Hangzhou. Ses poèmes ont l'esprit d'une entrée dans le monde en affrontant directement la réalité et la vie, en luttant courageusement contre les ténèbres de la société avec sa plume poétique, en attaquant les mauvais gouvernements de la société, en reflétant les difficultés des gens dans la société, et en exprimant ses difficultés personnelles.