Un pêcheur couche la nuit près d’une falaise.
Il brûle des bamboux pour chauffer l’eau à l’aise
Quand le soleil se lève et la brume est dissipée.
L’eau verdit le mont au cri de la matinée.
Ramant aval, il tourne à l’horizon les yeux
Et ne voit que les nues ondoyer dans les cieux.
Poème chinois
「渔翁」
柳宗元
渔翁夜傍西岩宿, 晓汲清湘燃楚烛。
烟销日出不见人, 欸乃一声山水绿。
回看天际下中流, 岩上无心云相逐。
Explication du poème
Ce poème fut écrit par Liu Zongyuan durant son exil à Yongzhou (vers 805–815 apr. J.-C.). À cette époque, éloigné du centre politique, confiné dans des paysages sauvages, il vivait une profonde solitude, mais découvrit peu à peu la beauté discrète de la nature. C’est dans ce contexte que naquit cette œuvre. Liu Zongyuan y dépeint la vie tranquille d’un pêcheur, exprimant son désir d’une existence recluse, tout en révélant une consolation intime et une fierté solitaire après ses déceptions.
Premier couplet : « 渔翁夜傍西岩宿,晓汲清湘燃楚烛。 »
Yú wēng yè bàng xī yán sù, xiǎo jí qīng xiāng rán chǔ zhú.
« Le pêcheur, la nuit, s’abrite au pied de la falaise ouest ;
Au matin, puise l’eau claire de la Xiang, allume un feu de bambous du Chu. »
L’ouverture est picturale : une nuit calme, une aube active. En deux vers, le poète esquisse une scène de vie simple et paisible. Les gestes — puiser l’eau, allumer le feu — ajoutent une touche réaliste, tandis que les « bambous du Chu » ancrent le tableau dans une couleur locale, rendant l’aube plus poétique encore, baignée d’une légère fumée.
Deuxième couplet : « 烟销日出不见人,欸乃一声山水绿。 »
Yān xiāo rì chū bú jiàn rén, ǎi nǎi yì shēng shān shuǐ lǜ.
La brume se dissipe, le soleil se lève, l’homme a disparu ; Un cri de rame résonne, les montagnes et l’eau s’éveillent, d’un vert éclatant.
Ce couplet crée un effet mystérieux. L’« absence » du pêcheur surprend, renforçant l’étrangeté du paysage. Le bruit soudain de la rame révèle sa présence invisible, animant soudain la nature immobile. Le « vert éclatant » semble jaillir sous l’effet de ce son, construisant un univers à la fois limpide et vivant, tout en reflétant l’humeur solitaire du poète.
Troisième couplet : « 回看天际下中流,岩上无心云相逐。 »
Huí kàn tiān jì xià zhōng liú, yán shàng wú xīn yún xiāng zhú.
En se retournant, il voit le ciel se fondre dans le fleuve ; Sur les rochers, des nuages insouciants se poursuivent.
La perspective s’élargit brusquement, dévoilant une vue grandiose. Le pêcheur s’éloigne avec le courant, ne laissant que les nuages jouant au sommet. Ces « nuages insouciants » deviennent le miroir de l’âme du poète, symbolisant la liberté sans attaches qu’il convoite.
Lecture globale
Ce poème est comme une peinture de paysage silencieux, où le pêcheur, telle une ombre, flotte entre présence et absence, tout en animant les montagnes et les eaux par sa simple existence. Liu Zongyuan use d’une narration discrète, intégrant l’homme dans le paysage pour créer une scène à la fois mystérieuse et profonde. Le pêcheur, enfant de la nature, incarne aussi l’âme du poète — silencieuse mais rayonnante d’une dignité solitaire.
Du visuel à l’auditif, du proche au lointain, le poète déploie son art par strates, mêlant réel et imaginaire, mouvement et immobilité. Bien que les actions du pêcheur soient décrites avec économie, elles marquent durablement l’esprit, révélant le désir du poète de se libérer et son amertume face au réel.
Spécificités stylistiques
- Instant saisi : Le poème capture des moments fugaces (nuit/aube/brume), suggérant l’infini en peu de mots.
- Ruptures visuelles : Des vers comme « La brume se dissipe… » ou « Un cri de rame… » brisent les attentes, créant une tension poétique.
- Silences calculés : Le pêcheur, à peine esquissé, devient une présence fantomatique, cultivant mystère et sérénité.
- Polyphonie sensorielle : Sons (rame), couleurs (vert), mouvements (nuages) tissent une immersion totale.
Éclairages
Plus qu’un paysage, ce poème est une allégorie de la liberté spirituelle. Le pêcheur, sans attaches, symbolise l’idéal inatteignable du poète exilé. L’œuvre enseigne que la vraie transcendance naît du dialogue avec la nature, même dans l’adversité.
Liu Zongyuan célèbre ici une liberté intérieure qui défie les limites matérielles — un appel à préserver, au fond des vallées obscures, une âme invaincue.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Liu Zongyuan (柳宗元), 773 - 819 après J.-C., originaire de Yongji, dans le Shanxi, était un penseur progressiste, un brillant écrivain et un homme politique révolutionnaire de la dynastie Tang.