On dit que la neige augure bonne moisson,
Mais les moissons ne font aux pauvres rien de bon.
Dans la capitale il y a tant de pauvres gens,
Qui n aiment la neige ni bon an ni mal an.
Poème chinois
「雪」
罗隐
尽道丰年瑞,丰年事若何。
长安有贫者,为瑞不宜多。
Explication du poème
Composé par Luo Yin à une époque de troubles sociaux et de grande misère populaire, ce poème en apparence descriptif cache sous son évocation de la neige une satire mordante de l'indifférence des élites face à la souffrance du peuple. À travers une remise en question glaciale de la notion de "bonne année", le poète exprime sa profonde compassion pour les déshérités et son esprit critique réaliste.
Premier couplet : « 尽道丰年瑞,丰年事若何。 »
Jìn dào fēngnián ruì, fēngnián shì ruòhé.
Tous vantent la neige propice aux bonnes récoltes, Mais qu'importe une bonne année pour le peuple ?
D'entrée, le poète détourne l'adage traditionnel "Neige propice, année abondante" par un ton faussement naïf. L'expression "tous vantent" vise implicitement les fonctionnaires oisifs, ignorants des souffrances populaires. La question rhétorique "qu'importe une bonne année ?" dénonce avec une force silencieuse l'amère réalité : les bonnes récoltes ne profitent jamais aux plus pauvres.
Deuxième couplet : « 长安有贫者,为瑞不宜多。 »
Cháng'ān yǒu pín zhě, wéi ruì bùyí duō.
À Chang'an vivent des indigents, Pour eux, trop de neige n'est pas propice.
Sous des apparences mesurées, ce vers cache une critique acerbe. Le poète énonce froidement une vérité cruelle : ce que les privilégiés considèrent comme un heureux présage signifie pour les pauvres un froid mortel. Sans vêtements ni abris, ils périssent dans l'indifférence générale. Ce "trop de neige n'est pas propice" constitue une accusation voilée contre l'égoïsme des classes dominantes.
Lecture globale
Avec une maîtrise consommée, Luo Yin détourne les conventions poétiques sur la neige pour dresser un réquisitoire social. Brisant l'image traditionnelle de la neige bénie, il oppose avec une ironie douloureuse le sort des nantis et des miséreux. Le glissement de perspective entre "tous vantent" et "Chang'an a ses pauvres" marque un changement de camp : le poète s'est fait porte-voix des sans-voix.
D'une concision remarquable (quatre vers seulement), le poème allie satire mesurée et profonde compassion. Sans emphase, avec des mots simples mais chargés de sens, Luo Yin donne une leçon de poésie engagée et de lucidité sociale.
Spécificités stylistiques
- Ironie subtile : Apparente objectivité masquant une critique acérée
- Déconstruction des lieux communs : Renversement de l'imaginaire traditionnel de la neige
- Économie de moyens : Quatre vers suffisent à exprimer une vision sociale complexe
- Double lecture : Description apparente / satire réelle
Éclairages
Ce poème miniature offre une réflexion toujours actuelle sur les inégalités sociales. Il rappelle que derrière les discours officiels sur la prospérité, se cachent souvent des réalités douloureuses. Luo Yin, en poète-témoin, nous invite à considérer toute "bonne nouvelle" à l'aune de son impact réel sur les plus vulnérables. Une leçon de lucidité qui traverse les siècles : la véritable prospérité ne se mesure pas aux signes extérieurs, mais au bien-être du dernier des citoyens.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète:
Luo Yin (罗隐), 833 - 909 après J.-C., était un poète de la dynastie Tang, originaire de Hangzhou. Ses poèmes ont l'esprit d'une entrée dans le monde en affrontant directement la réalité et la vie, en luttant courageusement contre les ténèbres de la société avec sa plume poétique, en attaquant les mauvais gouvernements de la société, en reflétant les difficultés des gens dans la société, et en exprimant ses difficultés personnelles.