Sur le traversin, mille serments d’amour:
Nous nous aimerons
Jusqu’à ce que tombent les montagnes,
Que sur l’eau flotte le plomb,
Que le fleuve Jaune tarisse dans la campagne,
Qu’on voie les étoiles en plein jour,
Qu’au sud le grand Chariot paraisse.
Quand même durera notre amour
Jusqu’à ce qu’à minuit le soleil ne s’abaisse.
Poème chinois
「菩萨蛮 · 枕前发尽千般愿」
佚名
枕前发尽千般愿,要休且待青山烂。
水面上秤锤浮,直待黄河彻底枯。
白日参辰现,北斗回南面。
休即未能休,且待三更见日头。
Explication du poème
Cette chanson populaire anonyme, composée entre la fin des Tang et la période des Cinq Dynasties, est un chef-d'œuvre de passion amoureuse. Écrite à la voix d'une femme, elle exprime une fidélité indéfectible à travers des métaphores hyperboliques, jurant que l'amour survivrait même à l'assèchement des mers et à la fin du monde, incarnant le style direct et ardent des chants d'amour traditionnels.
Première strophe : « 枕前发尽千般愿,要休且待青山烂。水面上秤锤浮,直待黄河彻底枯。»
Zhěn qián fā jìn qiān bān yuàn, yào xiū qiě dài qīng shān làn. Shuǐ miàn shàng chèng chuí fú, zhí dài Huáng Hé chè dǐ kū.
Sur l'oreiller j'ai épuisé mille serments :
Pour nous séparer, il faudra que les montagnes bleues pourrissent,
Que les poids de balance flottent sur l'eau,
Que le Fleuve Jaune s'assèche jusqu'à son lit.
Cette strophe utilise des images sensorielles violentes et des exagérations démesurées pour exprimer l'absolu de l'engagement amoureux. Les "mille serments" (千般愿) traduisent une passion débordante ; les images de montagnes pourrissantes et de fleuve asséché, impossibles à concevoir, symbolisent l'immuabilité de cet amour.
Deuxième strophe : « 白日参辰现,北斗回南面。休即未能休,且待三更见日头。»
Bái rì shēn chén xiàn, běi dǒu huí nán miàn. Xiū jí wèi néng xiū, qiě dài sān gēng jiàn rì tou.
Il faudra voir les étoiles Shen et Chen en plein jour,
La Grande Ourse tourner vers le sud,
Et si cela ne suffit pour nous séparer,
Alors attendre minuit pour voir le soleil.
Ici, les lois naturelles sont totalement renversées : l'apparition d'étoiles diurnes et l'inversion de la rotation céleste deviennent les conditions impossibles d'une séparation. La femme pousse le langage amoureux à ses limites extrêmes, transformant l'expression du désespoir en une déclaration d'éternité. Chaque image astronomique fonctionne comme un sceau cosmique scellant cet amour indestructible.
Lecture globale
Écrit à la première personne féminine, ce poème lyrique (词) exprime avec une intensité viscérale la fidélité absolue d'une femme à son serment amoureux. Par des images surnaturelles - « montagnes pourrissantes », « boulet flottant », « fleuve Jaune asséché », « soleil à minuit » - le texte transcende le réalisme pour crier une promesse éternelle. Son langage brut, tendu comme un arc, puise dans l'esthétique des ballades populaires, contrastant avec le lyrisme raffiné des lettrés. Cette voix féminine, ardente et sans fard, révèle autant la sincérité du désir amoureux que l'authenticité des expressions affectives dans la Chine médiévale.
Spécificités stylistiques
Le texte déploie une rhétorique de l'extrême, assimilant la passion aux forces cosmiques (montagnes, astres, fleuves). Ces hyperboles, paradoxalement, construisent une logique affective implacable. La langue, populaire mais rythmée, épouse sans retenue les tourments du cœur, incarnant l'essence même du 词 : forme poétique née de l'urgence émotionnelle.
Éclairages
Ce poème transmet une vérité universelle : l'amour véritable défie le temps et les éléments, prenant l'univers entier à témoin de sa constance. Il rappelle que la persévérance et la loyauté, même exprimées avec une outrance apparente, gardent une puissance émotionnelle intemporelle. Dans nos sociétés contemporaines où les relations se fragilisent, cette déclaration d'amour-monde conserve toute sa force de vérité.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)