Les petits pois rouges de sang
Poussent dans le sud au printemps.
Je te prie d’en cueillir toujours:
Ils t’apporteront mon amour.
Poème chinois
「相思」
王维
红豆生南国,春来发几枝。
愿君多采撷,此物最相思。
Explication du poème
Composé durant l'ère Tianbao sous l'empereur Xuanzong, à la veille de la révolte d'An Lushan, ce poème naît de la solitude de Wang Wei alors fonctionnaire impérial à la capitale. Profondément attiré par la vie érémitique de ses amis comme Pei Di et imprégné de philosophie bouddhiste, le poète utilise ici la graine de haricot rouge comme symbole de nostalgie. Ces quatre vers condensent une émotion d'une rare intensité, oscillant entre amitié et amour, devenant un classique de l'expression indirecte des sentiments.
Premier couplet : « 红豆生南国,春来发几枝。 »
Hóngdòu shēng nánguó, chūn lái fā jǐ zhī.
Les haricots rouges croissent au pays du Sud,
Au printemps, combien de branches fleurissent ?
Le poème s'ouvre sur une évocation symbolique : hóngdòu ("haricots rouges"), surnommés "graines de nostalgie", servent traditionnellement de messagers sentimentaux. La mention du nánguó ("pays du Sud") situe géographiquement la scène tout en désignant discrètement le lieu de résidence de l'ami. La question rhétorique fā jǐ zhī ("combien fleurissent ?") transforme l'observation botanique en interrogation affective, où la pousse végétale devient métaphore de l'affection grandissante.
Deuxième couplet : « 愿君多采撷,此物最相思。 »
Yuàn jūn duō cǎi xié, cǐ wù zuì xiāngsī.
Puissiez-vous en cueillir abondance,
Car nul objet mieux qu'eux n'exprime l'absence.
Le ton devient tendrement exhortatif. L'expression yuàn jūn ("puissiez-vous") traduit une sollicitude contenue, confiant aux haricots le soin de porter le message affectif. La déclaration zuì xiāngsī ("expriment le mieux la nostalgie") agit comme un sceau final, résumant avec une simplicité poignante la profondeur du sentiment. L'émotion, bien que intense, s'exprime avec une retenue caractéristique de l'art wangweien.
Appréciation générale
D'une structure rigoureuse, le poème déploie en quatre vers un mouvement parfait : description objective puis expression subjective, scène extérieure et sentiment intérieur fusionnant harmonieusement. Le hóngdòu, chargé de résonances symboliques, devient le réceptacle d'une nostalgie intense. Le génie réside dans l'expression indirecte : c'est en s'adressant à l'autre (jūn) que le poète révise ses propres sentiments, souffrant sans se plaindre, émouvant sans pathos.
Particulièrement remarquable est l'absence totale de lamentation malgré l'intensité émotionnelle. La beauté des haricots ne tient pas à leur apparence mais au sens que leur prête le poète. Des mots apparemment simples (printemps, cueillir, abondance, le plus) s'agencent avec une subtilité telle qu'ils construisent progressivement temps, émotion, désir et symbole, donnant à ce bref poème une résonance infinie.
Caractéristiques stylistiques
Ce poème illustre parfaitement l'art wangweien d'"exprimer l'émotion par les objets" et "d'inscrire le sentiment dans le paysage". Le langage, d'une simplicité dépouillée, privilégie les images nettes et le rythme harmonieux. L'émotion, suggérée plus qu'exprimée, se révèle avec une discrétion qui invite à la méditation. Bien que très bref, le poème possède une puissance visuelle et affective exceptionnelle, particulièrement dans le vers final où une simple exhortation (yuàn jūn duō cǎi xié) porte le poids entier du sentiment, incarnant l'idéal bouddhique de "sens épuisé mais signification inépuisable".
Éclairages
Ce poème nous enseigne que les sentiments authentiques n'ont que faire des ornements superflus - quelques graines rouges et une parole simple suffisent à porter l'essentiel. En incarnant une passion intense dans un objet naturel, Wang Wei illustre l'art unique de la poésie classique chinoise : plutôt que l'aveu direct, la confidence par symbole et l'expression par métaphore. Cette beauté discrète, cette émotion voilée mais profonde, non seulement traverse les siècles sans vieillir, mais nous apprend à goûter la vérité des sentiments dans le silence partagé.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Wang Wei (王维), 701 - 761 après J.-C., était originaire de Yuncheng, dans la province de Shanxi. Ses poèmes de paysages et d'idylles, aux images d'une grande portée et aux significations mystérieuses, ont été largement appréciés par les lecteurs des générations suivantes, mais Wang Wei n'est jamais vraiment devenu un homme de paysages et d'idylles.