Les herbes fleurissent près du pont de l’Oiseau,
Le soleil décline à l’entrée de la rue des Riches.
L’hirondelle qui volait chez les seigneurs hauts
Visite aujourd’hui les pauvres où elle niche.
Poème chinois
「乌衣巷」
刘禹锡
朱雀桥边野草花,乌衣巷口夕阳斜。
旧时王谢堂前燕,飞入寻常百姓家。
Explication du poème
Composé en 826 sous le règne de l'empereur Tang Jingzong, ce poème appartient au cycle "Cinq Élégies de Jinling" et compte parmi les plus célèbres méditations historiques de Liu Yuxi. Après un long exil dans le Jiangnan, le poète contemple avec une profonde mélancolie l'ancienne capitale Jinling (actuelle Nanjing), jadis florissante et aujourd'hui en déclin. À travers des paysages épurés et des images chargées de sens, il exprime l'impermanence des choses humaines et les vicissitudes de l'histoire, imprégnant son œuvre d'une puissante résonance philosophique.
Premier couplet : « 朱雀桥边野草花,乌衣巷口夕阳斜。 »
Zhū què qiáo biān yě cǎo huā, wū yī xiàng kǒu xī yáng xié.
Au bord du pont Vermillon, des herbes folles en fleurs ;
À l'entrée de la ruelle aux Robes Noires, le soleil décline.
Le "pont Vermillon" et la "ruelle aux Robes Noires", jadis symboles de pouvoir et de prestige, ne sont plus que vestiges envahis par la nature. Les "herbes folles en fleurs" contrastent cruellement avec la splendeur passée, tandis que le "soleil déclinant" peint une mélancolie contemporaine. Cette opposition visuelle crée une tension poétique qui souligne l'inexorable effacement des gloires humaines devant le temps.
Deuxième couplet : « 旧时王谢堂前燕,飞入寻常百姓家。 »
Jiù shí wáng xiè táng qián yàn, fēi rù xún cháng bǎi xìng jiā.
Les hirondelles qui nichaient jadis devant les halls Wang et Xie
Viennent aujourd'hui nicher chez de simples roturiers.
Les hirondelles, témoins immuables des cycles saisonniers, deviennent ici les chroniqueuses involontaires des bouleversements historiques. Leur migration des "halls aristocratiques" vers les "demeures communes" matérialise avec une élégante sobriété la vanité des hiérarchies sociales. Ce déplacement spatial concentre en deux vers une méditation profonde sur la relativité du pouvoir et la permanence de la vie populaire face aux mutations dynastiques.
Lecture globale
Avec une économie de moyens remarquable, ce poème déploie une méditation poignante sur la fragilité des civilisations. Le paysage dépouillé (herbes folles, soleil déclinant) et l'image centrale des hirondelles construisent une archéologie poétique de la mémoire. Liu Yuxi, en maître du non-dit, ne recourt à aucun commentaire explicite - la force suggestive des images suffit à évoquer la grandeur passée et la décadence présente. La simplicité apparente du langage dissimule une profondeur historique et métaphysique qui a élevé ce poème au rang de chef-d'œuvre intemporel de la poésie chinoise.
Spécificités stylistiques
- Symbolisme concentré : Chaque élément (pont, ruelle, herbes, soleil, hirondelles) fonctionne comme un symbole historique polysémique
- Dialectique temporelle : Les hirondelles, êtres cycliques, deviennent mesure de la linéarité du déclin humain
- Élégance épurée : Construction rigoureuse où chaque sinogramme est porteur de sens
- Perspective cinématique : Alternance entre plans larges (paysage) et plans rapprochés (hirondelles) pour un effet dramatique accru
Éclairages
Ce poème transcende son contexte historique pour parler à toutes les époques : les empires tombent, les puissants disparaissent, mais la vie persiste sous d'autres formes. Les hirondelles - indifférentes aux vicissitudes humaines - rappellent que la nature survit aux constructions éphémères des hommes. Liu Yuxi nous invite ainsi à relativiser les ambitions terrestres et à contempler avec sagesse les cycles de l'histoire. Cette vision rejoint les enseignements bouddhistes sur l'impermanence tout en conservant la mélancolie typiquement confucéenne face à l'effacement des civilisations. Le poète transforme ainsi une scène apparemment simple en une méditation universelle sur le temps, la mémoire et la condition humaine.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Liu Yuxi (刘禹锡), 772 - 842 A.D., was a native of Hebei. His poems are characterized by bright and lively language, loud and harmonious rhythms, and an eloquent and refreshing style, which was highly regarded by the people of the time, and he was known as the “诗豪”.