Vert, verdoie le temple au sein des bambous;
Loin, loin sonne la cloche du soir. Vous,
En chapeau de paille, portant le couchant,
Vous descendez seul du mont verdoyant.
Poème chinois
「送灵澈上人」
刘长卿
苍苍竹林寺,杳杳钟声晚。
荷笠带斜阳,青山独归远。
Explication du poème
Composé entre 769 et 770, ce poème naît d'une rencontre entre deux âmes en exil intérieur. Liu Changqing, alors en disgrâce politique, végète à Runzhou, tandis que le moine Lingche, encore inconnu, erre dans le Jiangnan. L'un est un lettré marginalisé, l'autre un religieux en retrait du monde - leurs chemins diffèrent mais leurs cœurs battent à l'unisson, partageant la mélancolie des talents méconnus et la quiétude des montagnes. Ces vers capturent le crépuscule où Liu accompagne par la pensée Lingche retournant au temple des Bambous, tissant tendresse d'adieu et aspiration spirituelle.
Premier couplet : « 苍苍竹林寺,杳杳钟声晚。 »
Cāng cāng zhú lín sì, yǎo yǎo zhōng shēng wǎn.
Temple des Bambous dans la brume bleutée,
Tardif carillon perdu dans l'éloignement.
Le poète contemple de loin le sanctuaire forestier. L'onomatopée "yǎo" (杳杳) restitue l'écho mourant des cloches vesperales - symbole du crépuscule physique et spirituel. Ces sons lointains cristallisent l'aspiration du mondain pour la retraite monastique, créant une atmosphère de pureté transcendante.
Deuxième couplet : « 荷笠带斜阳,青山独归远。 »
Hé lì dài xié yáng, qīng shān dú guī yuǎn.
Son chapeau de paille emporte le soleil oblique,
Seul vers les monts bleus, son retour s'éloigne.
La silhouette du moine se détache dans la lumière rasante. L'image du "chapeau emportant le soleil" sublime l'instant en icône méditative. L'adverbe "seul" et le verbe "s'éloigner" condensent une double solitude - celle du religieux sur son chemin et celle du poète resté sur le rivage des vanités.
Lecture globale
Vingt caractères suffisent à déployer un univers. Les deux premiers vers, paysagers, établissent par les brumes et les cloches un cadre de sérénité sacrée. Les deux derniers, anthropocentrés, font du moine un point mouvant dans la lumière déclinante. Cette miniature visuelle et auditive, d'une apparente simplicité, irradie de respect, de mélancolie et de désir d'évasion. Aucun mot ne dit l'adieu, mais chaque trait le suggère avec une retenue qui en amplifie la puissance.
Spécificités stylistiques
- Synesthésie spirituelle : Brumes bleutées (visuel) + carillons lointains (auditif) = expérience méditative totale
- Économie iconique : Le chapeau de paille et le soleil oblique suffisent à incarner tout un idéal d'érémitisme
- Dynamique du vide : L'éloignement progressif crée un espace mental infini
- Dualité chromatique : Bleu des montagnes contre or du couchant - palette zen
Éclairages
Ce poème initie à une dialectique du détachement. Liu Changqing, bien qu'englué dans les déceptions politiques, trouve dans l'image du moine s'effaçant dans les montagnes une leçon de liberté intérieure. Son œuvre nous invite à cultiver ces "monts bleus" intimes où l'âme peut toujours se retirer, même au cœur des tempêtes mondaines. La vraie sagesse serait peut-être cette capacité à habiter simultanément le monde et sa propre transcendance - comme le moine qui marche entre ombre et lumière, déjà ailleurs.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Liu Zhangqing (刘长卿), ? - 786 après J.-C., était originaire du comté de Xian, dans le Hebei. Dans sa jeunesse, il a étudié au mont Songshan, puis a déménagé à Poyang, dans la province de Jiangxi. Il est surtout connu pour ses poèmes en cinq vers.