La belle jeune femme, ignorant les chagrins,
Bien parée au printemps, monte à la tour d’ivoire.
Voyant soudain les saules verts près du chemin,
Elle regrette son époux cherchant la gloire.
Poème chinois
「闺怨」
王昌龄
闺中少妇不知愁,春日凝妆上翠楼。
忽见陌头杨柳色,悔教夫婿觅封侯。
Explication du poème
Ce poème fut composé à l'apogée des Tang, comptant parmi les célèbres poèmes de complainte féminine de Wang Changling. À cette époque où la gloire militaire et les titres honorifiques étaient hautement prisés, les hommes partaient souvent guerroyer aux frontières, laissant derrière eux d'innombrables épouses seules. Ce poème, né de ce contexte social, capture le brusque passage de la joie printanière à la douleur de la séparation, cachant une intensité passionnée sous des apparences délicates.
Premier distique : « 闺中少妇不知愁,春日凝妆上翠楼。 »
Guī zhōng shào fù bù zhī chóu, chūn rì níng zhuāng shàng cuì lóu.
La jeune épouse du gynécée ignore encore le chagrin
Par un jour de printemps, elle se pare et monte au pavillon de jade
Le ton léger du début dépeint une jeune femme insouciante, parée pour admirer le printemps. Mais cette apparente gaieté ("ignore encore le chagrin") dissimule une mélancolie latente - le pavillon n'est peut-être qu'un refuge contre la solitude, préparant le brusque revirement émotionnel à venir.
Second distique : « 忽见陌头杨柳色,悔教夫婿觅封侯。 »
Hū jiàn mò tóu yáng liǔ sè, huǐ jiāo fū xù mì fēng hóu.
Soudain, elle aperçoit les saules verts au bord du chemin
"J'ai eu tort d'envoyer mon mari chercher titres et honneurs !"
L'adverbe "soudain" marque un tournant dramatique. Les saules, symboles traditionnels de séparation, déclenchent une prise de conscience douloureuse. Le cri du cœur "J'ai eu tort…" révèle une amertume profonde envers ce système de valeurs masculin qui sacrifie les foyers sur l'autel de la gloire.
Lecture globale
Sous ses apparences de simple complainte conjugale, ce poème dissimule une critique acerbe du système des titres honorifiques. À l'âge d'or des Tang où "tout homme doit se distinguer" et "conquérir des titres aux confins de l'empire", Wang Changling révèle l'envers du décor : familles brisées, épouses désemparées. Sans jamais énoncer directement sa critique, le poète fait d'une simple vision de saules le déclic d'une révélation douloureuse, dans un chef-d'œuvre de retenue expressive.
Spécificités stylistiques
- Contraste émotionnel : La gaieté initiale accentue l'amertume finale
- Symbolisme naturel : Les saules verts deviennent catalyseurs d'une prise de conscience
- Ironie subtile : Aucun reproche direct, mais une critique implicite du militarisme
- Économie expressive : En 28 caractères, une progression psychologique complète
Éclairages
Ce poème nous rappelle que derrière les gloires officielles se cachent souvent des tragédies intimes. À travers le revirement d'une jeune épouse, Wang Changling dénonce les coûts humains de la quête effrénée de titres. Son regard empathique sur le monde féminin et sa critique voilée des valeurs dominantes gardent aujourd'hui encore une pertinence frappante, nous invitant à réfléchir sur l'équilibre entre ambition professionnelle et épanouissement personnel.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Wang Changling (王昌龄) était originaire de Xi'an, Shaanxi, vers 690 - vers 756 de notre ère. Il a été admis au rang de jinshi en 727. Les poèmes de Wang Changling traitent principalement des lieux frontaliers, des amours et des adieux, et il était très connu de son vivant. Il était connu sous le nom de « Sage des sept poèmes », au même titre que Li Bai.