Mon cœur dépasse soleil et lune de vitesse.
II fait un voyage pas encor commencé.
La brise d'automne que je ne connaisse
Ne m' attend pas là où je voudrais aller.
Poème chinois
「蜀道后期」
张说
客心争日月,来往预期程。
秋风不相待,先至洛阳城。
Explication du poème
Composé vers le début du VIIIe siècle, ce poème naquit lors d'une mission officielle de Zhang Yue dans le Sichuan occidental. À cette époque, les fonctionnaires en déplacement affrontaient des voyages éprouvants - routes périlleuses des gorges, distances interminables. Âgé d'une quarantaine d'années, le poète, accablé par les obligations administratives retardant son retour à Luoyang, transposa dans ces vers sa mélancolie face au temps fuyant et à l'incertitude du retour, utilisant le motif du vent automnal comme véhicule émotionnel.
Premier distique : « 客心争日月,来往预期程。 »
Kè xīn zhēng rì yuè, lái wǎng yù qī chéng.
Cœur d'exilé rivalisant avec soleil et lune,
Allers-retours scrupuleusement calculés.
Ce distique peint l'empressement bureaucratique du poète en terre étrangère. "Rivalisant avec soleil et lune" (争日月 zhēng rì yuè) matérialise sa course contre la montre pour un retour anticipé. "Scrupuleusement calculés" (预期程 yù qī chéng) révèle une planification rigoureuse du voyage, soulignant l'intensité de son désir familial. L'emploi du terme "cœur d'exilé" (客心 kè xīn) plutôt que simple "je" universalise l'expérience du déracinement.
Second distique : « 秋风不相待,先至洛阳城。 »
Qiū fēng bù xiāng dài, xiān zhì Luòyáng chéng.
Le vent d'automne, sans attendre personne,
A déjà devancé mes pas jusqu'à Luoyang.
Ici jaillit le paradoxe poignant. Alors que le poète s'épuise en calculs d'itinéraire, le vent automnal (秋风 qiū fēng), libre de toute contrainte, atteint avant lui la ville tant désirée. Ce reproche adressé au vent - "sans attendre" (不相待 bù xiāng dài) - voile sous une apparente légèreté l'amertume de l'échec. La personnification du vent et le contraste entre sa liberté et l'enchaînement administratif du poète élèvent ce quatrain au rang de métaphore universelle des entraves sociales.
Lecture globale
Ce quatrain concis, bien que bref, recèle une profondeur remarquable. Le premier vers, « Le cœur du voyageur rivalise avec soleil et lune », campe d'emblée l'identité et l'état d'esprit du voyageur, où le caractère « rivaliser » (争) saisit avec vivacité son sentiment d'urgence face au temps. Le second vers, « Allers et retours suivent un itinéraire prévu », prolonge cette idée en évoquant un périple lointain mais ordonné, révélant l'attente confiante du retour. Les troisième et quatrième vers, s'appuyant sur l'automne comme médiateur, opèrent une transition habile : l'émotion bascule de la rationalité du plan vers la mélancolie sensible. « Le vent d'automne n'attend pas », personnifiant la brise, transforme un phénomène naturel indifférent en objet d'expression affective, tandis que « Devance [mon retour] jusqu'à Luoyang » exprime une résignation face à la réalité, exacerbant la nostalgie des siens et la hâte du retour.
En un langage extrêmement épuré, ce poème dépeint à la fois l'errance du voyageur et l'infini du désir de retour ; il évoque les obstacles concrets tout en exprimant l'espoir intime. D'une sobriété suggestive, évitant toute plainte explicite, il révèle sa profondeur émotionnelle à travers le détour de la nature personnifiée, laissant une résonance durable.
Spécificités stylistiques
Ce poème se distingue par sa conception ingénieuse et son langage concis, excellant dans l'art d'incarner l'émotion dans le paysage. Le poète personnifie le « vent d'automne » pour exprimer avec subtilité la frustration d'un retour retardé, opérant une transition affective naturelle mais retenue. Vingt caractères seulement suffisent à intégrer l'agitation du voyage, l'acuité du désir de retour et les barrières du réel, démontrant une rare puissance de condensation artistique et une tension émotionnelle intense.
Éclairages
travers l'arrivée du « vent d'automne », symbole du temps qui fuit et des retours contrariés, ce poème révèle comment les Anciens fusionnaient en quelques mots sentiments personnels, épreuves du voyage et nostalgie familiale. Il nous enseigne qu'une existence accaparée par les obligations et les intempéries ne doit pas étouffer le désir d'appartenance et d'affection. Pour exprimer l'émotion, la suggestion discrète et l'art de faire dialoguer paysage et sentiment surpassent souvent la confidence directe en force évocatrice. C'est là tout le charme de la poésie classique : sublime économie de moyens au service d'une profondeur affective inépuisable.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Zhang Yue (张说, 667 - 730), originaire de Luoyang dans le Henan, fut un homme d'État et lettré des Tang. Son œuvre poétique, caractérisée par une vigueur monumentale et une ampleur visionnaire, joua un rôle pivot dans le mentorat de figures comme Zhang Jiuling et He Zhizhang, accélérant la transition stylistique entre les Tang précoces et l'Âge d'or.