La coupe au vin de beau raisin, ô qu'elle est belle!
J'en vais boire au pipa; à cheval on m'appelle.
Ne riez pas si je tombe ivre sur le champ, combien
Sont de retour des guerres depuis les jours anciens!
Poème chinois
「凉州词」
王翰
葡萄美酒夜光杯,欲饮琵琶马上催。
醉卧沙场君莫笑,古来征战几人回。
Explication du poème
Ce poème fut composé durant l'ère Kaiyuan (713-741) sous les Tang, période marquée par de fréquentes campagnes militaires aux frontières. Wang Han, poète au tempérament libre et au talent inemployé, aimait à se divertir autour du vin. Il dépeint ici un banquet militaire dans les contrées frontalières, exprimant les sentiments complexes des soldats cherchant à jouir de l'instant face à l'incertitude du destin. À l'origine, les "Chansons de Liangzhou" (aujourd'hui Wuwei dans le Gansu) étaient des mélodies barbares populaires dans cette région, introduites dans la Plaine Centrale sous Kaiyuan pour devenir une forme majeure de la poésie de frontière à l'apogée des Tang.
Premier distique : « 葡萄美酒夜光杯,欲饮琵琶马上催。 »
Pútáo měi jiǔ yèguāng bēi, yù yǐn pípá mǎshàng cuī.
Vin de raisin dans des coupes luminescentes,
Le pipa sur son cheval presse notre ivresse.
Ce distique peint une scène de banquet rare en zone frontalière, associant des éléments typiquement occidentaux (vin de raisin, coupes lumineuses, pipa) pour créer une atmosphère à la fois fastueuse et tendue. Il montre les guerriers savourant un dernier instant de plaisir avant de se lancer au combat, dans une urgence héroïque.
Deuxième distique : « 醉卧沙场君莫笑,古来征战几人回。 »
Zuì wò shāchǎng jūn mò xiào, gǔ lái zhēngzhàn jǐ rén huí.
Ne riez pas si je m'effondre ivre au champ de bataille -
Depuis l'antiquité, combien sont revenus des guerres ?
Le ton bascule brutalement de l'euphorie à la mélancolie. Le poète exprime avec une franchise poignante la résignation des soldats face à la mort - s'abandonner à l'ivresse comme ultime réconfort devant l'inéluctable. Cette attitude mêle bravoure chevaleresque et amère réalité, reflétant la précarité existentielle aux frontières. La question rhétorique finale donne une dimension universelle à cette
Lecture globale
Bien que limité à quatre vers, ce poème déploie une progression scénique et émotionnelle magistrale, révélant l'alternance de joie et d'amertume dans la vie frontalière militaire. Les premiers vers peignent le banquet - couleurs vives, musiques et vins -, les derniers évoquent la guerre - rappel glaçant de la mort et réflexion douloureuse. Ce basculement de l'extrême allégresse à l'extrême tristesse crée une tension poignante. Le vers "Ne riez point de mon ivresse au champ de bataille", en particulier, enrobe une méditation sur la mortalité dans une apparente désinvolture, cachant la mélancolie sous la bravade, incarnant parfaitement l'esprit de l'âge d'or des Tang.
Spécificités stylistiques
Le poème utilise un contraste violent pour créer un choc artistique, passant brusquement de l'atmosphère festive des "cristaux lumineux et vins capiteux" à la gravité mortuaire des "champs de bataille", intensifiant ainsi sa puissance émotive. Les images du "vin de raisin", des "coupes lumineuses" et du "luth pipa" reflètent les influences culturelles de l'Asie centrale, témoignant de l'ouverture de la culture frontalière sous les Tang. Le langage, dépouillé mais percutant, va droit à l'essentiel. Le plus remarquable est la façon dont le poète dissimule une profonde tristesse sous une apparence héroïque, conférant à l'œuvre une double couche de bravoure superficielle et de méditation existentielle sous-jacente.
Éclairages
Ce poème célèbre tout à la fois l'intrépidité des guerriers face à la mort et déplore les lourds sacrifices de la guerre. Il nous rappelle que sous les apparences brillantes se cache souvent la cruauté du destin, et que derrière les chants et les vins peut se tapir une profonde mélancolie. C'est une perspicace intuition sur l'impermanence de la vie, autant qu'un hommage à l'héroïsme. En vingt-huit caractères seulement, le poète a légué à la postérité une vision à la fois stoïque et pathétique de l'existence - "vivre comme une fleur d'été, mourir comme une feuille d'automne".
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Wang Han (王翰) était originaire de Taiyuan, dans le Shanxi. Il a été admis en tant qu'érudit en 710 après Jésus-Christ. Il était connu pour son talent et son audace sans entrave, et ses poèmes étaient pleins de mots magnifiques. Les scribes Zu Yong et Du Hua voyageaient avec lui. Il jouissait d'une grande réputation à l'époque.