En toilette seyante elle descend.
Triste est la cour qui renferme le printemps.
Elle counte les fleurs dans le milieu,
Un agrion sur son épingle à cheveux.
Poème chinois
「和乐天春词」
刘禹锡
新妆宜面下朱楼, 深锁春光一院愁。
行到中庭数花朵, 蜻蜓飞上玉搔头。
Explication du poème
Ce poème fut composé lors d'un échange littéraire entre Liu Yuxi et Bai Juyi. Alors que Bai Juyi avait écrit "Chant de Printemps" dépeignant une jeune femme mélancolique appuyée à son balcon, Liu Yuxi répond ici par une variation sur le même thème, capturant les subtiles émotions de cette dame descendant admirer le printemps. Ces deux œuvres jumelles, chantant toutes deux les rêveries printanières, témoignent de la profonde amitié littéraire entre lettrés tang et de leur quête artistique entre retenue et profondeur émotionnelle.
Premier couplet : « 新妆宜面下朱楼,深锁春光一院愁。 »
Xīn zhuāng yí miàn xià zhū lóu, shēn suǒ chūn guāng yī yuàn chóu.
Parée de frais, elle descend le pavillon vermillon,
Un jardin tout entier de printemps enferme sa mélancolie.
La protagoniste, magnifiquement apprêtée ("parée de frais"), éprouve pourtant une profonde solitude au cœur même de ce printemps resplendissant. Son "apparat nouveau" trahit une attente déçue de partage, tandis que l'oxymore "printemps enfermé" oppose la splendeur visuelle à la tristesse intime, soulignant avec force son isolement émotionnel.
Deuxième couplet : « 行到中庭数花朵,蜻蜓飞上玉搔头。 »
Xíng dào zhōng tíng shǔ huā duǒ, qīng tíng fēi shàng yù sāo tóu.
Parvenue au jardin, elle compte les fleurs écloses,
Une libellule se pose sur son ornement de jade.
Cherchant à dissiper son ennui par l'observation minutieuse des fleurs ("compte les fleurs"), la jeune femme devient elle-même un élément du paysage printanier - au point qu'une libellule la confond avec une fleur. Ce délicat moment de grâce souligne sa beauté tout en symbolisant sa condition : splendide mais solitaire comme ces fleurs de jardin. Liu Yuxi fusionne ici avec maestria observation réaliste et résonance symbolique.
Lecture globale
À travers cette brève scène printanière, le poète dépeint la mélancolie d'une femme dont l'attente amoureuse reste insatisfaite. Sans jamais nommer directement sa tristesse, il use d'images suggestives ("pavillon vermillon", "ornement de jade") et de symboles naturels pour révéler par strates son état d'âme. Le vers final où la libellule se méprend est particulièrement remarquable - un instant à la fois concret et allégorique qui prolonge la résonance du poème bien au-delà de sa conclusion.
Spécificités stylistiques
Ce poème capture avec délicatesse le moment où une jeune femme, parée de ses plus beaux atours, descend admirer le printemps dans son jardin. À travers une scène apparemment simple - une promenade et l'observation des fleurs - Liu Yuxi dépeint toute la complexité des émotions féminines.
La tension poétique naît du contraste entre la beauté extérieure (la parure de la femme, la splendeur printanière) et la mélancolie intérieure. Chaque détail - le pavillon vermillon, les fleurs comptées une à une, la libellule se posant sur l'épingle à cheveux - contribue à construire une atmosphère à la fois concrète et symbolique.
Éclairages
Ce poème transcende son cadre historique pour parler à notre condition moderne : il révèle comment la plus radieuse beauté extérieure (le printemps) peut accentuer une solitude intérieure. Liu Yuxi nous montre surtout la puissance transformatrice de l'art - capable de sublimer une simple scène quotidienne en méditation universelle sur l'isolement humain. La libellule, détail apparemment anodin, devient sous sa plume le symbole d'une vérité existentielle : notre quête de reconnaissance dans le regard d'autrui.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Liu Yuxi (刘禹锡), 772 - 842 A.D., was a native of Hebei. His poems are characterized by bright and lively language, loud and harmonious rhythms, and an eloquent and refreshing style, which was highly regarded by the people of the time, and he was known as the “诗豪”.