Le Grand Fleuve Han de Wang Wei

han jiang lin tiao
Au nord de l’ancienne frontière
Le fleuve aux neuf bras ici passe.
Il coule au-delà de la terre;
Le mont s’y reflète et s’y efface.
La ville flotte sur ses eaux;
L’ horizon tremble avec ses ondes.
Le paysage ici est beau
À enivrer l’esprit du monde.

Poème chinois

「汉江临眺」
楚塞三湘接, 荆门九派通。
江流天地外, 山色有无中。
郡邑浮前浦, 波澜动远空。
襄阳好风日, 留醉与山翁。

王维

Explication du poème

Composé en 740 alors que Wang Wei traversait Xiangyang pour affaires officielles, ce poème naît d'une contemplation des paysages majestueux depuis les hauteurs. Âgé d'une quarantaine d'années - la pleine maturité - le poète jouit alors d'une clarté d'esprit et d'une sérénité exceptionnelles. L'œuvre capture le panorama grandiose observé depuis les rives de la rivière Han et les émotions qu'il suscite.

Premier couplet : « 楚塞三湘接,荆门九派通。 »
Chǔ sài sān xiāng jiē, jīng mén jiǔ pài tōng.
La rivière Han traverse les confins du Chu, rejoint les Trois Xiang,
À Jingmen, elle unit les neuf bras, s'ouvrant à l'infini.

Ces vers dépeignent la puissance impétueuse du cours d'eau sans le nommer directement. En quelques traits épurés, Wang Wei brosse une "géographie poétique" où montagnes et fleuves composent une cartographie sublime, préparant le regard à l'immensité.

Deuxième couplet : « 江流天地外,山色有无中。 »
Jiāng liú tiān dì wài, shān sè yǒu wú zhōng.
Le fleuve s'écoule au-delà des confins du monde,
Les montagnes se fondent dans l'entre-deux du visible et de l'invisible.

Transition magistrale du macrocosme au détail subtil. Le contraste entre l'écoulement infini et les montagnes évanescentes atteint une perfection visuelle. L'expression yǒu wú zhōng ("entre être et non-être") inscrit le paysage dans la philosophie taoïste, ajoutant une dimension métaphysique.

Troisième couplet : « 郡邑浮前浦,波澜动远空。 »
Jùn yì fú qián pǔ, bō lán dòng yuǎn kōng.
La cité de Xiangyang flotte sur les eaux,
Les vagues agitent les lointains célestes.

Le poète zoome sur les détails proches. Les verbes ("flotter") et dòng ("agiter") animent le paysage, créant une synesthésie où la terre et le ciel vibrent à l'unisson des flots.

Quatrième couplet : « 襄阳好风日,留醉与山翁。 »
Xiāng yáng hǎo fēng rì, liú zuì yǔ shān wēng.
Xiangyang, sous ton beau ciel,
Je m'attarderais ivre avec le vieillard des monts.

La conclusion, évoquant le "vieillard des monts" (figure d'ermite légendaire), ajoute une touche humaine à la contemplation. L'ivresse n'est pas celle du vin, mais de l'extase poétique devant la beauté.

Lecture globale

Contemplation de la rivière Han déploie une progression visuelle magistrale : des lointains géographiques aux détails atmosphériques, avant de s'ancrer dans l'expérience humaine. Alliant puissance imaginative (le fleuve cosmique) et délicatesse (les monts vaporeux), le poème incarne le fameux "paysage dans la poésie, poésie dans le paysage" caractéristique de Wang Wei. Le vers "Le fleuve s'écoule au-delà des confins du monde" concentre à lui seul cette alchimie du tangible et du métaphysique.

Spécificités stylistiques

Ce poème allie fraîcheur élégante et grandeur cosmique. Son génie réside dans l'art de fusionner les strates du réel et de l'impalpable, du mouvement et de l'immobilité, du proche et du lointain. Par une écriture où perception subjective et réalité objective s'entrelacent, Wang Wei insuffle une âme aux paysages. Des termes comme « flotter » (浮), « vibrer » (动) ou « être et non-être » (有无) transcendent la simple description pour élever la nature à une dimension poétique vivante. L'œuvre tout entière, où émotion et paysage se fondent dans une vision sublime, incarne l'idéal esthétique et spirituel caractéristique de Wang Wei.

    Éclairages

    Ce poème transcende la simple ekphrasis pour proposer une méditation sur la perception. Wang Wei nous enseigne que le regard poétique peut dilater les frontières du réel - un fleuve devient voie cosmique, une brume accède à la dimension philosophique. Dans notre ère de saturation visuelle, cette œuvre rappelle que la véritable contemplation exige à la fois acuité sensorielle et profondeur métaphysique. Le "vieillard des monts" n'est autre que l'idéal du poète : capable d'ivresse devant l'éternel spectacle du monde.

    Traducteur de poésie

    Xu Yuanchong

    À propos du poète

    Wang Wei

    Wang Wei (王维), 701 - 761 après J.-C., était originaire de Yuncheng, dans la province de Shanxi. Ses poèmes de paysages et d'idylles, aux images d'une grande portée et aux significations mystérieuses, ont été largement appréciés par les lecteurs des générations suivantes, mais Wang Wei n'est jamais vraiment devenu un homme de paysages et d'idylles.

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