Le pic haut touche le monde des fées,
Les monts s’étendent à la mer azurée.
Par derrière se fondent les nuages blancs;
Le brouillard bleu dissipe par devant.
Vu d’est ou d’ouest, le pic change d’ombre;
Les vais sont rayonnants ou sombres.
Puis-je passer la nuit la-haut?
Je demande à travers un ruisseau.
Poème chinois
「终南山」
王维
太乙近天都,连山接海隅。
白云回望合,青霭入看无。
分野中峰变,阴晴众壑殊。
欲投人处宿,隔水问樵夫。
Explication du poème
Composé en 741 lors des premières années de retraite de Wang Wei dans les monts Zhongnan - à la fois refuge spirituel et réalité érémitique - ce poème dépeint avec une puissance cosmique la majesté et les mystères de cette chaîne montagneuse, transfigurant la description géographique en autoportrait intérieur.
Premier couplet : « 太乙近天都,连山接海隅。 »
Tài yǐ jìn tiān dū, lián shān jiē hǎi yú.
Le Pic suprême tutoie la Cité céleste,
Ses contreforts plongent jusqu'aux confins marins.
Cette ouverture panoramique utilise l'hyperbole pour magnifier la montagne. Tài yǐ (nom sacré du pic principal) et tiān dū ("cité céleste") élèvent le paysage au rang de hiérophanie, tandis que jiē hǎi yú ("joignant les extrémités marines") lui confère une dimension quasi continentale, créant un effet de sublime géologique.
Deuxième couplet : « 白云回望合,青霭入看无。 »
Bái yún huí wàng hé, qīng ǎi rù kàn wú.
Nuages blancs en se retournant : rideau qui se referme,
Brumes bleues en s'approchant : vision qui s'évanouit.
Le regard passe à l'échelle humaine, captant les métamorphoses atmosphériques. L'opposition entre huí wàng ("regarder en arrière") et rù kàn ("pénétrer du regard") crée une dialectique visuelle où le réel se dérobe, illustrant le principe bouddhiste de l'illusion des phénomènes (māyā).
Troisième couplet : « 分野中峰变,阴晴众壑殊。 »
Fēn yě zhōng fēng biàn, yīn qíng zhòng hè shū.
Du sommet central, les provinces semblent se redistribuer,
Mille vallées simultanées : ombre et lumière mêlées.
Cette vue synoptique révèle la montagne comme microcosme. Fēn yě ("démarcations territoriales") suggère une recomposition géopolitique par l'altitude, tandis que zhòng hè shū ("diversité des vallées") peint un éventail climatique où coexistent contradictoirement (yīn qíng) les conditions météorologiques.
Quatrième couplet : « 欲投人处宿,隔水问樵夫。 »
Yù tóu rén chù sù, gé shuǐ wèn qiáo fū.
Cherchant un gîte chez l'habitant,
Par-dessus l'eau j'interpelle un bûcheron.
La conclusion humanise soudain le paysage. Le qiáo fū ("bûcheron") incarne la simplicité érémitique, tandis que gé shuǐ ("à travers l'eau") marque la distance entre le poète et ce guide potentiel, soulignant l'isolement comme condition de l'expérience spirituelle.
Appréciation générale
Le poème déploie une progression rigoureuse : du lointain au proche, du minéral à l'humain, du visible à l'invisible. L'emploi mesuré d'hyperboles et de résonances symboliques structure un espace à la fois géographique et intérieur. La composition épouse la forme classique (ouverture majestueuse, développement fluide, transition subtile, chute inattendue), combinant la grandeur des paysages tang avec la quintessence wangweienne de "peinture dans la poésie". Chaque détail, bien qu'infime, participe à une vision cosmique.
Caractéristiques stylistiques
Le génie de Wang Wei réside dans son art de "contenir dix mille lieues dans un pouce d'espace". Une économie de moyens virtuose saisit l'essence des montagnes et eaux. Les descriptions, tout en gardant une apparence naturelle, transcendent la réalité par des touches calculées. La transition des vues panoramiques aux phénomènes atmosphériques ténus crée une toile multidimensionnelle où s'entrelacent distances, altitudes et mouvements. La conclusion, introduisant l'élément humain, opère une synthèse entre paysage pur et sentiment, révélant la préoccupation constante du poète pour l'union chan de l'homme et de son environnement.
Éclairages
Plus qu'un chef-d'œuvre du paysage wangweien, ce poème enseigne l'art de construire des cosmos verbaux avec une langue épurée. Il révèle que la vraie création réside non dans l'accumulation de détails, mais dans la circulation du souffle vital (qì). Dans notre modernité bruyante, adopter le regard limpide de Wang Wei sur les montagnes et les eaux pourrait nous aider à retrouver, ne serait-ce qu'un instant, cette "demeure de l'esprit" que fut pour lui le pic Zhongnan.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong
À propos du poète
Wang Wei (王维), 701 - 761 après J.-C., était originaire de Yuncheng, dans la province de Shanxi. Ses poèmes de paysages et d'idylles, aux images d'une grande portée et aux significations mystérieuses, ont été largement appréciés par les lecteurs des générations suivantes, mais Wang Wei n'est jamais vraiment devenu un homme de paysages et d'idylles.