Pourquoi ne restez-vous plus sur les rivières
Aux eaux bleues, sables blancs et rives si jolies?
Quand on joue du luth aux vingt-cinq cordes lunaires,
N’en supporteriez-vous pas la mélancolie?
Poème chinois
「归雁」
钱起
潇湘何事等闲回,水碧沙明两岸苔。
二十五弦弹夜月,不胜清怨却飞来。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Qian Qi alors qu’il résidait depuis longtemps dans le nord de la Chine après avoir intégré la fonction publique. Un jour, apercevant des oies sauvages regagnant le sud, il fut ému par une vague de nostalgie et de mélancolie liée à son statut de voyageur. Il écrivit alors ce poème intitulé « Aux Oies Sauvages de Retour », exprimant à la fois son mal du pays et ses réflexions sur sa propre condition.
Premier couplet : « 潇湘何事等闲回,水碧沙明两岸苔。 »
Xiāo xiāng hé shì děng xián huí, shuǐ bì shā míng liǎng àn tái.
Pourquoi quitter ainsi à la légère les rives du Xiang ?
Ses eaux si bleues, ses sables lumineux, ses berges veloutées de mousse…
Ce couplet lance une série de questions empreintes d’incompréhension, utilisant l’image des « oies retournantes » pour exprimer l’étonnement face à leur départ d’un lieu aussi enchanteur que le Xiang. Le poète inverse habilement l’ordre des mots, insufflant vivacité et poésie. En dépeignant la beauté paisible du Xiang, il met en relief l’« anomalie » du départ des oies, préparant ainsi le développement ultérieur.
Deuxième couplet : « 二十五弦弹夜月,不胜清怨却飞来。 »
Èr shí wǔ xián tán yè yuè, bù shèng qīng yuàn què fēi lái.
Sous la lune, la déesse du Xiang jouait de sa cithare aux vingt-cinq cordes,
Mais n’en supportant plus la plainte pure, je m’envolai vers le nord.
Le poète prête ici sa voix aux oies, imaginant leur retour vers le nord face à la mélodie trop mélancolique de la déesse. Ce recours au mythe ajoute une dimension fantastique. Le couplet s’inspire de la légende de la déesse musicienne, personnifiant les oies migratrices pour y loger sa propre mélancolie de voyageur, avec une sensibilité à la fois profonde et subtile.
Lecture globale
À travers l’évocation des oies sauvages, ce poème mêle questions et réponses, réel et imaginaire. Le Xiang, symbole d’un lieu idéal, est abandonné par les oies précisément à cause d’une « plainte pure » devenue insupportable. Ce paradoxe reflète la solitude du poète dans le nord et son désir de retour. D’une construction ingénieuse, le poème captive dès l’ouverture par ses questions, avant d’offrir une réponse mythologique, personnifiant les oies avec une grâce aérienne. Lyrique et suggestif, c’est un chef-d’œuvre du « lyrisme par procuration ».
Spécificités stylistiques
L’art poétique réside ici dans l’alliage de réel et d’imaginaire, et dans le renversement des attentes par le jeu des questions. Les interrogations suscitent l’empathie, tandis que la fiction mythologique apporte une réponse romanesque, créant une tension poétique. Le langage, d’une clarté élégante, et la structure, concise, permettent une transition fluide des émotions. La référence aux « vingt-cinq cordes », empruntée à la mythologie, témoigne d’une inventivité qui enrichit la profondeur du poème et son pouvoir évocateur.
Éclairages
À travers le motif des oies regagnant le nord, ce poème donne voix à l’âme des exilés. Il rappelle que même dans un environnement extérieur fastueux, l’appartenance intime et les attaches du cœur demeurent irremplaçables. En exprimant ses sentiments à travers les oies et en actualisant un mythe ancien, le poète rend tangible la profondeur du mal du pays et la diversité de l’art lyrique. Une invitation, aussi, à cultiver le sens véritable de ce qui nous rattache à un lieu.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Qian Qi (钱起), 722 - 780 après J.-C., était originaire de Huzhou, dans la province du Zhejiang. Il a été admis comme jinshi en 751 après J.-C. et était l'un des « dix hommes de lettres de la dynastie Dali ». La plupart de ses poèmes traitent des adieux et des cadeaux.