Alcyon doré!
Vole au Sud et porte pour moi un message!
Près du pont où coulent les flots printaniers,
Quand boirons-nous à nouveau sous le feuillage?
Dès qu’on s’est dit adieu, on languit,
Les pleurs ne savent voyager.
Le rideau du lit
De noces et la couverture de soie
Me rappellent la joie
Si brève
Du temps passé—
Et je rêve.
Poème chinois
「归国谣 · 金翡翠」
韦庄
金翡翠,为我南飞传我意:罨画桥边春水,几年花下醉?
别后只知相愧,泪珠难远寄。罗幕绣帷鸳被,旧欢如梦里。
Explication du poème
Écrit durant le crépuscule des Tang, alors que les seigneurs de guerre déchiraient l'empire, Wei Zhuang, exilé au Sichuan comme conseiller du roi local, tourne son cœur vers les plaines centrales perdues. Sous les apparences d'une romance séparée, ce poème voile en réalité une élégie patriotique - chaque image (l'oiseau d'or, les ponts peints, les couvertures nuptiales) devenant métaphore de la nostalgie pour la terre natale et le passé révolu.
Première strophe : « 金翡翠,为我南飞传我意:罨画桥边春水,几年花下醉? »
Jīn fěicuì, wèi wǒ nán fēi chuán wǒ yì: Yǎn huà qiáo biān chūn shuǐ, jǐ nián huā xià zuì?
Ô phénix de jade doré,
Vers le sud pour moi vole porter mon message :
"Te souviens-tu des eaux printanières
Près du pont enluminé,
Combien d'années nous bûmes
Sous les fleurs enivrées ?"
Le mythe de l'oiseau messager (jīn fěicuì) crée un espace onirique. Plutôt que de décrire la douleur actuelle, le poète convoque des souvenirs lumineux : le pont peint (yǎn huà qiáo), les eaux printanières (chūn shuǐ), l'ivresse florale (huā xià zuì). Cette évocation indirecte, tissée d'images poétiques, rend la nostalgie plus poignante encore.
Deuxième strophe : « 别后只知相愧,泪珠难远寄。罗幕绣帷鸳被,旧欢如梦里。 »
Bié hòu zhǐ zhī xiāng kuì, lèi zhū nán yuǎn jì. Luó mù xiù wéi yuān bèi, jiù huān rú mèng lǐ.
Depuis l'adieu je ne connais que remords,
Mes larmes ne peuvent franchir les distances.
Rideaux de soie, tentures brodées,
Couverture à mandarines…
Nos joies passées
Ne sont plus que songes.
Le ton bascule dans l'aveu douloureux. Xiāng kuì ("remords mutuels") exprime à la fois l'auto-accusation et l'impuissance amoureuse. Les objets intimes (luó mù, yuān bèi) deviennent reliques d'un bonheur perdu. La conclusion rú mèng lǐ ("comme en rêve") scelle cette mélancolie, évoquant le thème classique de "l'inconstance des choses humaines".
Lecture globale
Derrière son apparence de romance, ce poème dissimule une lamentation sur la patrie déchirée. La première strophe, construite autour du mythe de l'oiseau messager, édifie un espace mémoriel idéalisé. La seconde, ramenant brutalement à la réalité, exprime remords et attachement dans une langue directe. D'une émotion à la fois subtile et profonde, d'une imagerie raffinée mais concise, le texte navigue entre expression amoureuse et engagement patriotique, capturant avec une grâce poignante les regrets de la séparation, la tendresse du souvenir et l'amertume de l'irrémédiable.
Caractéristiques stylistiques
Le poème joue de l'alternance entre réel et imaginaire : la strophe inaugurale invente un oiseau messager pour créer une atmosphère fantasmée, tandis que la seconde expose crûment les sentiments. Le langage, d'une simplicité touchante mais musicale, et les images, élégantes sans excès ornemental, illustrent le style unique de Wei Zhuang - à la fois somptueux et mélancolique. Les objets quotidiens (rideaux, couvertures), chargés de mémoire affective, fusionnent parfaitement "émotion" et "paysage", intensifiant la puissance lyrique.
Éclairages
Ce "Chant du Retour" nous rappelle que la sincérité des sentiments et la douceur des souvenirs constituent les ancrages les plus profonds de l'âme humaine. Dans les tourmentes de l'histoire, ces moments de tendresse passée deviennent souvent les lumières les plus vives de notre mémoire. En utilisant le langage de l'amour pour exprimer la douleur patriotique, Wei Zhuang nous montre que même dans le chaos des temps troublés, la poésie peut préserver les émotions les plus authentiques, devenant une lampe inextinguible au fond du cœur.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Wei Zhuang (韦庄), vers 836 - 910 après J.-C., était originaire de Xi'an, dans la province de Shaanxi. Il a écrit plus de cinquante poèmes et était un poète représentatif de l'« école de la chambre des fleurs », aux côtés de Wen Tingyun.