Le Ver à Soie de Liu Ji

chun can liu ji
Le ver à soie peine à n’en plus finir:
Le cocon fait, il se fera bouillir.
Il ne vaut pas une araignée qui file
Sa toile pour attraper l’inutile.

Poème chinois

「春蚕」
可笑春蚕独苦辛,为谁成茧却焚身。
不如无用蜘蛛网,网尽蜚虫不畏人。

刘基

Explication du poème

Composé à la transition des Yuan aux Ming par Liu Ji (alias Liu Bowen), ce poème allégorique reflète l'amertume de ce stratège éminent qui, après avoir contribué à l'avènement de la dynastie Ming, tomba en disgrâce. Sous l'apparence d'une simple évocation des vers à soie, se cache une méditation acerbe sur le sort des serviteurs de l'État et une dénonciation des carriéristes opportunistes.

Premier couplet : « 可笑春蚕独苦辛,为谁成茧却焚身。 »
Kěxiào chūncán dú kǔxīn, wèi shuí chéng jiǎn què fénshēn.
Ridicules vers à soie, peinant solitairement -
Pour qui donc filent-ils leur cocon, sinon pour se voir brûler vifs ?

Le poète ouvre par une apparente moquerie ("ridicules") qui se révèle rapidement comme le masque d'une profonde compassion. L'image des vers sacrifiés après leur labeur devient une métaphore transparente du destin des ministres loyaux, exploités puis éliminés par le pouvoir qu'ils ont servi. L'interrogation "pour qui donc" sonne comme un réquisitoire contre l'ingratitude des régimes politiques.

Second couplet : « 不如无用蜘蛛网,网尽蜚虫不畏人。 »
Bùrú wúyòng zhīzhū wǎng, wǎng jìn fēi chóng bù wèi rén.
Mieux vaudrait l'inutile toile d'araignée -
Prenant les insectes au piège sans craindre l'homme.

Par un renversement ironique, Liu Ji oppose la destinée tragique des vers à soie à la sécurité relative des araignées. Ces dernières, bien que considérées comme inutiles ("l'inutile toile"), jouissent d'une autonomie que n'ont pas les vers productifs. La critique implicite vise les courtisans habiles à se préserver tout en paraissant inoffensifs - une leçon de réalisme politique voilée sous des images apparemment anodines.

Lecture globale

Bien que ne comptant que quatre vers, ce poème dégage une émotion intense et une profondeur de pensée remarquable. En surface, il oppose le destin de deux petites créatures - le ver à soie et l'araignée - mais en réalité, l'auteur y exprime son mécontentement face à l'écologie politique de son époque. Le ver à soie, laborieux et dévoué, finit consumé par le feu, symbolisant ces ministres loyaux et lettrés intègres qui, pour avoir été trop consciencieux, se retrouvent sacrifiés car inadaptés aux circonstances. L'araignée, bien qu'inutile aux hommes, préserve sa sécurité en restant à l'écart des affaires du monde, allusion transparente à ces opportunistes habiles à naviguer entre tous les courants qui, eux, prospèrent sans souci. Cette réflexion sur le destin et la valeur constitue la prise de conscience aiguë de Liu Ji quant aux réalités de la vie et aux vicissitudes des carrières officielles.

D'un point de vue artistique, les vers sont concis et vivants, le langage direct mais chargé de sens. Le premier vers, avec son "labeur solitaire" et son "corps consumé", possède une tension dramatique qui transmet puissamment la tragique émotion de l'auteur face au "sacrifice suprême pour la patrie". Le poème entier combine allégorie et satire pour critiquer la réalité sociale et provoquer chez le lecteur une réflexion profonde sur les valeurs et le destin.

Spécificités stylistiques

Bien que bref, ce poème voit grand à travers le petit. Le poète utilise la métaphore animale pour exprimer ses idées : en opposant ver à soie et araignée, il révèle avec force l'état du monde où "les intègres souffrent tandis que les accommodants prospèrent". Son langage, simple mais acéré, possède une forte dimension critique et satirique, représentant typiquement les fables politiques qui caractérisent l'œuvre de Liu Ji. Le rythme en est vif, la progression émotionnelle naturelle, et le vers final, froid et puissant, délivre un avertissement des plus stimulants.

Éclairages

Ce poème de Liu Ji donne fort à réfléchir : il montre comment, dans la société réelle, les personnes véritablement talentueuses et responsables se retrouvent souvent prisonnières des manipulations institutionnelles et du pouvoir, tandis que celles habiles à flatter les puissants parviennent généralement à préserver leur sécurité. À travers le contraste entre le ver à soie consumé et l'araignée épargnée, le poète exprime son mécontentement face à la réalité et la lamentation sur son propre destin. Cet esprit de réflexion et de critique conserve aujourd'hui encore une pertinence actuelle marquée : il nous rappelle que pour évaluer la valeur d'une personne, il ne faut pas seulement considérer son "utilité", mais aussi reconnaître ses qualités intrinsèques et son esprit de dévouement.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Liu Ji (刘基, 1311 - 1375), originaire de Wencheng dans la province du Zhejiang, était un homme politique et un lettré de la fin de la dynastie Yuan et du début de la dynastie Ming. Reçu docteur des lettres en 1333, il contribua à l'établissement de la dynastie Ming par Zhu Yuanzhang. Ses poèmes et écrits, d'une vigueur mélancolique, se rapprochent du style de Lu You. Considéré avec Song Lian comme l'un des « Deux Grands Maîtres de la poésie et de la prose des débuts des Ming », sa réputation légendaire dans le folklore est résumée par ce dicton : « Pour diviser l'Empire, un Zhuge Liang ; pour l'unifier, un Liu Bowen ».

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