J’aime être seul dans l'herbe au bord de la rivière;
Les loriots chantent au fond du feuillage en haut.
Le flot monte, gonflé par la pluie printanière;
On ne voit qu’un bateau en travers du cours d’eau.
Poème chinois
「滁州西涧」
韦应物
独怜幽草涧边生,上有黄鹂深树鸣。
春潮带雨晚来急,野渡无人舟自横。
Explication du poème
Composé en 781 sous le règne de l'empereur Dezong, alors que Wei Yingwu occupait le poste de gouverneur de Chuzhou, ce poème naît d'une promenade printanière dans les gorges occidentales de la ville. À travers des paysages naturels, l'auteur exprime son tempérament serein et son idéal érémitique, tout en laissant transparaître une discrète mélancolie face aux désillusions politiques. Ce chef-d'œuvre poétique illustre parfaitement l'art du paysage intériorisé.
Premier couplet : « 独怜幽草涧边生,上有黄鹂深树鸣。 »
Dú lián yōu cǎo jiàn biān shēng, shàng yǒu huáng lí shēn shù míng.
J'aime les herbes solitaires au bord du ravin,
Et les loriotsdorés chantant dans les arbres profonds.
L'expression dú lián ("seul à aimer") révèle une prédilection pour la discrétion et la retenue. Les yōu cǎo ("herbes solitaires"), poussant dans l'ombre du ravin, reflètent la personnalité du poète : retirée mais digne, symbolisant une résilience tranquille. Le chant des huáng lí (loriots dorés) dans le feuillage épais ajoute une note de vivacité à cette scène paisible, créant un contraste dynamique qui traduit l'aspiration du poète à une existence harmonieuse, loin du tumulte mondain.
Deuxième couplet : « 春潮带雨晚来急,野渡无人舟自横。 »
Chūn cháo dài yǔ wǎn lái jí, yě dù wú rén zhōu zì héng.
La marée printanière, sous la pluie, se précipite au crépuscule,
Au bac désert, une barque s'en traverse, sans personne.
Ces vers élargissent la perspective des bois aux eaux tumultueuses. Le chūn cháo ("marée printanière"), normalement symbole de vitalité, prend ici une teinte mélancolique avec la pluie du soir. L'adjectif jí ("pressé") intensifie l'énergie du mouvement, tandis que yě dù wú rén ("bac désert sans personne") introduit une solitude absolue. L'image de la barque zì héng ("qui se traverse d'elle-même"), abandonnée à son sort, devient une puissante métaphore de la condition du poète - ni vraiment engagé dans les affaires du monde, ni complètement libéré de ses attaches, flottant dans une sorte de limbe existentiel.
Appréciation générale
En quatre vers seulement, le poème déploie une progression subtile des herbes ombragées aux arbres profonds, puis des flots printaniers au bac solitaire. Par un jeu de perceptions visuelles et auditives, de mouvements et de calmes entrelacés, il compose un paysage de fin de printemps d'une profonde résonance. En choisissant délibérément des éléments discrets (herbes solitaires, barque abandonnée) plutôt que des scènes animées ou des fleurs éclatantes, Wei Yingwu révèle son monde intérieur - un refus de suivre les modes, une préférence pour l'intégrité solitaire. Bien que dépeignant des paysages, chaque vers est imprégné d'émotion ; une émotion qui, sans jamais s'afficher ouvertement, imprègne l'âme du lecteur, atteignant ce sommet artistique où "le paysage contient le sentiment, et le sentiment recèle la raison".
Caractéristiques stylistiques
La marque distinctive de ce poème réside dans son art de "décrire le mouvement par le calme, entrelaçant dynamisme et immobilité". Les paysages, dépeints avec une précision subtile, créent une atmosphère de sérénité lointaine. Des images comme les yōu cǎo ("herbes solitaires"), les shēn shù ("arbres profonds"), le yě dù ("bac désert") et le zhōu zì héng ("barque qui se traverse") - bien que dépourvues d'éclat superficiel - recèlent des significations profondes, stimulant l'imagination. Le langage, d'une simplicité naturelle et d'une élégance sobre, représente un joyau rare parmi les poèmes paysagers des Tang. La structure rigoureuse, alternant tension et relâchement, évoque une peinture à l'encre pâle où la réserve formelle dissimule une puissance considérable.
Éclairages
Préserver la tranquillité et la clarté intérieures dans un monde bruyant constitue un accomplissement rare. Wei Yingwu, avec des mots apparemment ordinaires, capture cette noblesse solitaire et ces contradictions intimes : refus de la médiocrité mais impuissance à lutter, conduisant à se réfugier dans les paysages naturels et à suivre le cours des choses. Cette désinvolture dans la froideur, cette mélancolie dans la retenue, représentent un état d'esprit que beaucoup aspirent à atteindre dans notre société agitée, mais qui reste hors de portée pour la plupart. Ce poème nous enseigne à préserver notre essence dans le tumulte, et à percevoir le monde dans le silence.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Wei Yingwu (韦应物), vers 737 - 786 après J.-C., était originaire de Xi'an. Wei Yingwu était un jeune homme chevaleresque et sans tabou. Ses poèmes s'intéressaient au sort du peuple, exprimaient son indignation contre l'époque, décrivaient des scènes idylliques, etc. Son langage était simple et léger, son style était beau et clair, et il était surtout célèbre pour ses descriptions de scènes idylliques.