L’Éternel Ciel : Fleurs Tombantes sur la Tour du Fleuve de Feng Yansi

ying tian chang · shi cheng hua luo jiang lou yu
Dans la cité de pierre, les fleurs tombent,
Sur la tour du fleuve, la pluie pleure.
Les nuages voilent les îles lointaines,
Les orchidées se fanent au crépuscule.

Sur la rive parfumée,
La brume et le brouillard dansent —
Qui donc habite au fond des saules verts ?

Les souvenirs d’autrefois s’effacent,
Où est donc parti l’être cher, en cette fin d’année ?
La barque aux orchidées s’éloigne vers l’ouest,
Mon âme erre sur le chemin des Gorges.

Poème chinois

「应天长 · 石城花落江楼雨」
石城花落江楼雨,云隔长洲兰芷暮。
芳草岸,各烟雾,谁在绿杨深处住?

旧游时事故,岁晚离人何处?
杳杳兰舟西去,魂归巫峡路。

冯延巳

Explication du poème

Feng Yansi, éminent poète et haut dignitaire des Tang du Sud sous le règne de Li Yu, incarne la quintessence de la culture Jiangnan à travers une œuvre imprégnée de mélancolie historique. Ce poème, composé durant la période troublée des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes, débute par un paysage de fin de printemps pour exprimer la nostalgie des amis disparus et l'amertume face au temps fugace, révélant la sensibilité d'un lettré confronté aux bouleversements de son époque.

Première strophe : « 石城花落江楼雨,云隔长洲兰芷暮。芳草岸,各烟雾,谁在绿杨深处住? »
Shí chéng huā luò jiāng lóu yǔ, yún gé cháng zhōu lán zhǐ mù. Fāng cǎo àn, gè yān wù, shuí zài lǜ yáng shēn chù zhù ?

"Fleurs tombant sur la cité de pierre, pluie sur le pavillon fluvial,
Nuages isolant l'île aux orchidées dans le crépuscule.
Rives d'herbes parfumées, brumes enveloppantes -
Qui donc demeure au cœur des saules verts ?"

D'emblée, le poème établit une atmosphère de déclin printanier. "Fleurs tombant" et "pluie sur le pavillon" tissent une toile mélancolique où la nature mourante reflète l'état d'âme du poète. "Nuages isolant l'île" opère une double séparation - géographique et temporelle - tandis que "orchidées dans le crépuscule" symbolise la disparition des vertus anciennes. La question finale, "Qui donc demeure…?", transforme l'observation en méditation, invitant le lecteur à partager cette quête d'un passé perdu.

Seconde strophe : « 旧游时事故,岁晚离人何处?杳杳兰舟西去,魂归巫峡路。 »
Jiù yóu shí shì gù, suì wǎn lí rén hé chù ? Yǎo yǎo lán zhōu xī qù, hún guī wū xiá lù.

"Compagnons et souvenirs d'antan - tout n'est plus que passé,
En cette fin d'année, où sont les êtres chers disparus ?
Lointaine, si lointaine, la barque aux orchidées vogue vers l'ouest,
Mon âme erre sur le chemin des Gorges Wu."

La strophe bascule dans l'évocation nostalgique. "Tout n'est plus que passé" condense en cinq caractères la fugacité des joies partagées. La question "où sont les êtres chers…" exprime l'impuissance face à l'écoulement du temps. L'image de la "barque aux orchidées" (traditionnel véhicule des séparations) s'estompant à l'horizon conduit à l'extraordinaire "mon âme erre…", où le poète, transcendando la mort, rejoint le royaume des mythes (les Gorges Wu évoquant les rencontres divines du Chuci).

Lecture globale

Ce poème orchestre une progression magistrale du tangible à l'imaginaire. La première strophe, ancrée dans des paysages concrets (cité, pavillon, saules), opère une transmutation progressive vers l'introspection. La seconde strophe, abandonnant toute attache réaliste, accomplit un voyage métaphysique où le deuil personnel se mue en quête mystique. La référence finale aux Gorges Wu - lieu des rencontres entre mortels et déesses dans la poésie Chu - élève la lamentation privée au rang de méditation sur l'impossible dialogue entre présent et passé.

Spécificités stylistiques

  • Alchimie sensorielle : Fusion des perceptions (floral/pluie visuelle, orchidées/brume olfactive) pour créer une mélancolie synesthésique.
  • Archétypologie culturelle : Utilisation d'images codées (barque aux orchidées, Gorges Wu) chargées de résonances littéraires.
  • Dynamique spatio-temporelle : Mouvement descendant (fleurs tombantes) puis horizontal (barque s'éloignant), mimant l'effacement progressif de la mémoire.
  • Ambiguïté calculée : La question "qui demeure…" laisse délibérément incertain si l'absent est un ami, un amour, ou le poète lui-même.

Éclairages

Cette œuvre dépasse la simple élégie pour interroger la nature même du souvenir. Le poète nous montre comment la perte transforme la géographie en paysage mental - les lieux réels (cité, pavillon) devenant les métaphores d'un psychisme endeuillé. La référence finale aux Gorges Wu, lieu de rencontres impossibles entre humains et divinités, suggère que toute mémoire est fondamentalement une nostalgie de l'irréel.

Pour le lecteur contemporain, ce poème offre une leçon sur la fonction cathartique de l'art : en transmuant sa douleur en symboles universels, Feng Yansi ne pleure pas seulement ses amis perdus, mais construit un langage permettant à chacun d'apprivoiser ses propres absences. La "barque aux orchidées" qui s'éloigne devient ainsi, par-delà les siècles, l'emblème de toutes nos séparations irrémédiables.

À propos du poète

Feng Yansi

Feng Yansi (冯延巳 903 - 960), prénom social Zhengzhong, originaire de Guangling (actuelle Yangzhou, Jiangsu), fut un célèbre poète de ci sous les Tang du Sud durant la période des Cinq Dynasties et Dix Royaumes. Nommé Vice-directeur gauche du Département des Affaires d'État (Zuo Puye Tongping Zhangshi), il jouit de la confiance absolue de l'empereur Li Jing. Ses ci tracèrent une nouvelle voie au-delà de la tradition Huajian, influençant directement des maîtres ultérieurs comme Yan Shu et Ouyang Xiu, jouant un rôle pivot dans la transition du ci d'"art des musiciens" vers "expression lettrée des fonctionnaires-érudits".

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