Les pics vertigineux caressent le ciel ;
Insouciant, j’oublie le cours des années.
J’écarte les nuages pour trouver l’antique chemin,
M’appuie sur un rocher pour écouter l’eau vive.
Des fleurs tièdes où se couche un bœuf bleu ;
De hauts pins sous lesquels dormant des grues blanches.
Notre entretien s’achève au crépuscule sur le fleuve ;
Je descends seul dans la brume froide.
Poème chinois
「寻雍尊师隐居」
李白
群峭碧摩天,逍遥不记年。
拨云寻古道,倚石听流泉。
花暖青牛卧,松高白鹤眠。
语来江色暮,独自下寒烟。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Li Bai durant ses voyages tardifs à Xuancheng, et représente un chef-d'œuvre de sa poésie taoïste. Ayant connu des revers de carrière et les vicissitudes de la vie, le poète adhéra plus profondément à la pensée érémitique taoïste. Bien que les détails de la vie du « maître Yong » soient inconnus, son image incarne l'idéal de Li Bai : un être éclairé transcendant le temps et l'espace, en communion avec l'esprit du ciel et de la terre.
Premier couplet : « 群峭碧摩天,逍遥不记年。 »
Qún qiào bì mó tiān, xiāoyáo bù jì nián.
Pic escarpés, d'un vert bleuté, frôlent le ciel ; Insouciant, il ne compte plus les années.
L'ouverture adopte une perspective ascendante pour esquisser l'espace grandiose où vit l'ermite. « Vert bleuté frôlent le ciel » décrit non seulement la couleur des montagnes, mais aussi, grâce au verbe « frôlent », leur dynamisme et leur puissance semblant défier la voûte céleste. Dans ce cadre, « Insouciant, il ne compte plus les années » présente l'état d'être du personnage principal, juxtaposant l'extension spatiale infinie et l'arrêt temporel éternel, créant instantanément une atmosphère immortelle transcendante.
Deuxième couplet : « 拨云寻古道,倚石听流泉。 »
Bō yún xún gǔ dào, yǐ shí tīng liú quán.
Écartant les nuages, je cherche l'antique sentier ; Appuyé au rocher, j'écoute le ruisseau murmurer.
Ce distique décrit avec finesse le processus de la visite. « Écartant les nuages » est à la fois une description réaliste des brumes montagnardes et une métaphore de la nécessité de dissiper les obscurcissements mondains pour chercher la vérité. « Chercher l'antique sentier » évoque autant le chemin physique que la quête de la sagesse taoïste ancienne. « Appuyé au rocher, j'écoute le murmure » passe de la vision à l'ouïe ; le mot « écouter » exprime la quiétude intérieure du poète et son enivrement du rythme naturel, transformant le chemin de la visite en une purification de l'âme.
Troisième couplet : « 花暖青牛卧,松高白鹤眠。 »
Huā nuǎn qīng niú wò, sōng gāo bái hè mián.
Près des fleurs tièdes, le bœuf bleu se couche ; Sur le pin altier, la grue blanche sommeille.
Ce distique est la scène la plus empreinte d'immortalité du poème. Le bœuf bleu est la monture de Laozi quittant le monde, la grue blanche est la compagne des immortels ; tous deux sont des images classiques de la culture taoïste. Le poète ne décrit pas l'homme, mais le bœuf couché et la grue endormie, utilisant la sérénité des animaux pour refléter l'harmonie parfaite entre le maître des lieux et toute chose. L'antithèse « fleurs tièdes » et « pin altier » esquisse la stratification de l'environnement érémitique et suggère la chaleur et la noblesse du caractère de l'ermite.
Quatrième couplet : « 语来江色暮,独自下寒烟。 »
Yǔ lái jiāng sè mù, dú zì xià hán yān.
Nos paroles allaient, le fleuve virait au crépuscule ; Seul, je descends par la brume froide.
Le distique final accomplit l'élévation émotionnelle dans l'écoulement du temps. « Nos paroles allaient » est d'une grande inclusivité, omettant tout dialogue concret mais suggérant une affinité spirituelle élevée et un oubli de soi dans la conversation. « Le fleuve virait au crépuscule » marque la fin d'une unité spatio-temporelle complète. La conclusion « Seul, je descends par la brume froide », contrastant avec la magnificence de l'ouverture, revient à une marche solitaire après la rencontre chaleureuse, laissant une résonance durable, à la fois teintée de mélancolie et de clarté née d'une compréhension profonde.
Lecture globale
La structure artistique de ce poème ressemble à un pèlerinage complet. Il suit une logique interne progressive : « contempler le lointain → en chercher le chemin → en observer les manifestations → en percevoir l'esprit ». Le poète entrelace habilement sa propre quête, dynamique et processuelle, avec l'image sereine et accomplie de l'ermite, créant ensemble une illustration philosophique complète de la « quête de la Voie » et de son « obtention ». L'usage des couleurs est particulièrement ingénieux : du vert bleuté « frôlant le ciel », à la chaleur fleurie, puis aux teintes crépusculaires du fleuve et au gris de la « brume froide », formant une riche harmonie visuelle parfaite qui externalise les émotions complexes du poète, de l'aspiration et la quête à la compréhension et au retour.
Spécificités stylistiques
- Structure spatio-temporelle soigneusement conçue : Le poème accomplit une boucle spatiale (vers/retour de la montagne) et une transition temporelle (jour/crépuscule), rigoureuse et symbolique.
- Intégration organique d'images taoïstes : Bœuf bleu, grue blanche ne sont pas de simples ornements, mais fusionnent avec l'environnement, construisant un système de symboles empreint de taoïsme.
- Richesse sensorielle stratifiée : Intégrant vision (pic escarpés, crépuscule), toucher (fleurs tièdes, brume froide), ouïe (murmure du ruisseau), il crée un espace poétique immersif.
- Maîtrise de l'art de la réserve : Aucune description directe de l'ermite ; son image émerge indirectement par l'ambiance et les perceptions du poète, atteignant l'idéal artistique du « non-dit ».
Éclairages
Ce poème nous révèle une sagesse de vie particulièrement précieuse dans la société moderne : la vraie « retraite » n'est pas une fuite physique, mais une construction et une préservation spirituelles. Ce que Li Bai cherchait n'était pas seulement un ermite, mais un ordre et une paix intérieurs. À l'ère de la surcharge informationnelle et de l'accélération, nous ne pouvons peut-être habiter les montagnes vertes, mais nous pouvons nous ouvrir intérieurement une terre pure « insouciante, sans compter les années », retrouvant le rythme de la vie en « écoutant le murmure du ruisseau » dans les interstices de l'occupation. La conclusion « seul, je descends par la brume froide » est une métaphore profonde : tout échange spirituel profond retourne à la solitude, et la vraie croissance s'accomplit dans cette sédimentation solitaire. Cette capacité à maintenir la quiétude dans le tumulte et à préserver l'indépendance dans la foule est l'héritage spirituel que Li Bai lègue à chaque moderne.
À propos du poète

Li Bai (李白), 701 - 762 apr. Li Bai a porté la poésie chinoise classique, en particulier la poésie romantique, à son apogée et a influencé des générations de lettrés exceptionnels dans le passé et le présent grâce à ses remarquables réalisations.