Banquet d'Adieu de Kong Shangren

ai jiang nan · li ting yan dai xie zhi sha
Dans le jardin royal j'ai entendu
De bon matin chanter les beaux loriots;
Dans la maison au bord de l’eau j’ai vu
Les belles fleurs s’épanouir tôt.
Qui sait que tout s’effondre ainsi que la glace fond?

J’ai vu s’élever la maison,
J’ai vu les joyeux invités,
Et j’ai vu le bâtiment écroulé.
Dans les ruines d’aujourd’hui
J’ai passé tant de belles nuits!
Après cinquante années décline la splendeur.
Les hôtels n’appartiennent plus aux mêmes
seigneurs.
La mort pleure la nuit au bord du Lac Sans Joie;
Le phénix est remplacé par l’oiseau de proie.

Le rêve est déchiré par la guerre;
Mais inoubliable est l’ancienne terre.
Je ne crois pas que le monde ait changé de visage;
Je compose cette élégie
Sur des choses vieillies,
Et je la chanterai jusqu'à mon vieil âge.

Poème chinois

「哀江南 · 离亭宴带歇指煞」
俺曾见金陵玉殿莺啼晓,秦淮水榭花开早,谁知道容易冰消!
眼看他起朱楼,眼看他宴宾客,眼看他楼塌了!
这青苔碧瓦堆,俺曾睡风流觉,将五十年兴亡看饱。
那乌衣巷不姓王,莫愁湖鬼夜哭,凤凰台栖枭鸟。
残山梦最真,旧境丢难掉,不信这舆图换稿!
诌一套《哀江南》,放悲声唱到老。

孔尚任

Explication du poème

Composée au début de la dynastie Qing, cette pièce constitue l'épilogue final du drame légendaire L'Éventail aux fleurs de pêcher - Résonances ultimes. Elle s'inscrit dans le contexte de la chute du régime Hongguang des Ming du Sud (1644-1645). Kong Shangren, à travers les souvenirs des paysages de Qinhuai et de Jinling, donne voix à un artiste ayant vécu les bouleversements historiques, exprimant à la fois la mélancolie face à l'effondrement des Ming et une dénonciation poignante des souffrances contemporaines. L'œuvre fusionne mémoire historique douloureuse et sentiment patriotique profond, se faisant à la fois élégie funèbre pour une dynastie disparue et interrogation brûlante sur le présent.

Première strophe : « 俺曾见金陵玉殿莺啼晓,秦淮水榭花开早,谁知道容易冰消! »
Ǎn céng jiàn Jīnlíng yù diàn yīng tí xiǎo, Qínhuái shuǐ xiè huā kāi zǎo, shéi zhīdào róngyì bīng xiāo !
J'ai vu les palais de jade à Jinling, au chant matinal des loriot,
Les pavillons sur l'eau de Qinhuai, où les fleurs éclosaient tôt -
Qui eût cru qu'ils fondraient comme glace au soleil !

Le poète évoque les splendeurs passées de la capitale méridionale à travers des images printanières (chants d'oiseaux, floraisons précoces), symboles d'une prospérité aussi brillante qu'éphémère. La métaphore de la fonte glaciaire ("fondraient comme glace") traduit avec une brutalité calculée la soudaineté de l'effondrement dynastique, tout en suggérant l'inéluctabilité du destin historique. Ces vers recèlent une critique implicite de l'aveuglement des dirigeants des Ming du Sud, trop occupés à jouir des plaisirs frivoles pour anticiper leur chute.

Deuxième strophe : « 眼看他起朱楼,眼看他宴宾客,眼看他楼塌了! »
Yǎn kàn tā qǐ zhū lóu, yǎn kàn tā yàn bīnkè, yǎn kàn tā lóu tā le !
Je l'ai vu ériger son pavillon vermillon,
Je l'ai vu banqueter avec ses hôtes,
Je l'ai vu s'écrouler, ce pavillon !

La triple anaphore ("Je l'ai vu…") crée un rythme implacable, mimant la fatalité historique. La gradation ascendante puis descendante (construction - festivité - destruction) forme une parabole complète de la décadence dynastique. Les couleurs symboliques (vermillon = pouvoir) et les activités décrites (banquets = corruption) condensent en trois vers une critique acerbe de l'élite dirigeante des Ming du Sud, dont les excès précipitèrent la chute.

Troisième strophe : « 这青苔碧瓦堆,俺曾睡风流觉,将五十年兴亡看饱。 »
Zhè qīngtái bì wǎ duī, ǎn céng shuì fēngliú jué, jiāng wǔshí nián xīngwáng kàn bǎo.
Ce tas de tuiles vertes couvertes de mousse,
Où j'ai jadis fait mes rêves galants -
J'en ai assez vu, de ces cinquante ans de gloires et de chutes !

La personnification des ruines ("tuiles vertes" = patine du temps) devient miroir de la destinée humaine. L'expression "assez vu" (kàn bǎo, litt. "rassasié de voir") traduit une lassitude existentielle, celle du témoin saturé d'histoires tragiques. Le contraste entre les "rêves galants" d'autrefois et l'amertume présente résume le passage de l'illusion à la désillusion, caractéristique de la sensibilité post-dynastique.

Quatrième strophe : « 那乌衣巷不姓王,莫愁湖鬼夜哭,凤凰台栖枭鸟。 »
Nà Wūyī xiàng bù xìng Wáng, Mòchóu hú guǐ yè kū, Fènghuáng tái qī xiāoniǎo.
Cette ruelle Wuyi n'est plus aux Wang,
Le lac Mochou entend des pleurs nocturnes de fantômes,
Sur la terrasse du Phénix nichent des chouettes sinistres.

Ces trois vers, où le paysage devient miroir de l'émotion, évoquent trois sites emblématiques de Jinling : la Ruelle de la Robe noire, le Lac Mochou et la Terrasse du Phénix. Le contraste entre leur gloire passée et leur déchéance actuelle est d'une amertume poignante, métaphore voilée d'un empire déchu et d'une élégance à jamais perdue, symbolisant l'effondrement ultime du destin national.

Cinquième strophe : « 残山梦最真,旧境丢难掉,不信这舆图换稿! »
Cán shān mèng zuì zhēn, jiù jìng diū nán diào, bùxìn zhè yútú huàn gǎo !
Les montagnes mutilées sont plus vraies en rêve,
Ce paysage perdu refuse de me quitter -
Je ne peux croire qu'on ait redessiné les cartes !

L'oxymore "montagnes mutilées plus vraies en rêve" inverse la hiérarchie habituelle réalité/rêve, signe d'un monde bouleversé. L'image des cartes géographiques modifiées (yútú huàn gǎo) symbolise avec une concision géniale les bouleversements territoriaux et idéologiques de la conquête mandchoue. Le refus de croire ("Je ne peux croire") traduit le choc psychologique face à l'irréversibilité de l'histoire.

Sixième strophe : « 诌一套哀江南,放悲声唱到老。 »
Zhōu yī tào āi Jiāngnán, fàng bēi shēng chàng dào lǎo.
Je vais improviser une complainte pour le Jiangnan,
Et chanter ma douleur jusqu'à mon dernier souffle.

L'acte créatif ("improviser une complainte") devient geste de résistance mémorielle. La détermination à "chanter jusqu'à la vieillesse" transforme la douleur individuelle en témoignage historique permanent. Ce final élève la lamentation personnelle au rang de monument poétique contre l'oubli, conférant à l'œuvre sa dimension à la fois intime et universelle.

Lecture globale

Cette pièce musicale, empreinte d'une profonde indignation et d'une émotion bouillonnante, ressemble aux lamentations d'un vieil artiste ayant traversé cinquante années de vicissitudes, pleurant parmi les ruines la splendeur passée et la déchéance présente. Le poète prend pour toile de fond des événements historiques et exprime ses sentiments à la première personne, déroulant ainsi le déclin complet des Ming du Sud. Les trois vers « Je l'ai vu ériger son pavillon vermillon / Je l'ai vu y donner des festins / Je l'ai vu s'écrouler » sont d'une puissance saisissante, devenus l'expression emblématique du deuil dynastique à travers les âges. À travers la transformation des sites célèbres, la symbolique des noms de lieux et la décadence des paysages, la pièce déploie progressivement la douleur des cycles historiques, incarnant pleinement le patriotisme et la conscience historique du poète.

Spécificités stylistiques

Cette pièce fusionne narration, lyrisme et réflexion dans un langage simple mais chargé d'émotion, utilisant abondamment contrastes et parallélismes pour créer un rythme intense et une tension dramatique. Les trois vers centraux « Je l'ai vu ériger… » révèlent avec force la fatalité historique du déclin. La seconde partie, avec des toponymes symboliques comme « la ruelle de la Robe noire » ou « la Terrasse du Phénix », matérialise les bouleversements historiques, exprimant à travers l'alternance de rêve et de réalité une douleur nationale insoutenable. D'un langage accessible mais au sens profond, l'œuvre est à la fois examen historique et élégie déchirante pour le rêve perdu du Jiangnan.

Éclairages

Plus qu'une complainte dynastique, cette pièce est une parabole historique. Elle rappelle que derrière toute prospérité, l'absence de vigilance mène inévitablement à la chute ; qu'un âge d'or voué aux plaisirs éphémères court à sa perte. Les cycles de prospérité et déclin ne concernent pas seulement les dynasties, mais sont un chœur de larmes populaires et de bouleversements territoriaux. Kong Shangren grave artistiquement la leçon de l'histoire, chantant dans une ultime mélodie les désastres des temps troublés, sonnant pour les générations futures un avertissement durable.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Kong Shangren (孔尚任, 1648 - 1718), originaire de Qufu au Shandong, descendant de Confucius à la 64e génération, fut dramaturge et poète sous les Qing. Bien que destitué pour son Éventail aux fleurs de pêcher, il créa un nouveau paradigme du théâtre historique.

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