La Lyre de Su Shi

qin shi
Si l’on dit que de lyre la musique vient,
Pourquoi n’entend-on rien quand elle est dans sa boîte?
Si l’on dit qu elle vient des doigts du musicien,
Pourquoi n'entend-on rien à sa main gauche ou droite?

Poème chinois

「琴诗」
若言琴上有琴声,放在匣中何不鸣?
若言声在指头上,何不千君指上听?

苏轼

Explication du poème

Ce poème, dont la datation exacte reste inconnue, est traditionnellement attribué à Su Shi et reflète les questionnements philosophiques des lettrés Song sur le bouddhisme Chan et le taoïsme. À une époque où la culture mandarinale se mêlait à la pensée bouddhiste, Su Shi, profondément influencé par ces deux courants, utilisait souvent des métaphores concrètes pour explorer des vérités abstraites. Ce poème interroge l'origine du "son du luth", question apparemment simple, pour aborder les rapports entre "être" et "non-être", suscitant une réflexion métaphysique sur l'existence et l'essence.

Premier vers : « 若言琴上有琴声,放在匣中何不鸣? »
Ruò yán qín shàng yǒu qín shēng, fàng zài xiá zhōng hé bù míng ?
Si l'on dit que le son réside dans le luth lui-même, Pourquoi reste-t-il muet lorsqu'enfermé dans son étui ?

Par cette question rhétorique en apparence triviale, le poète révèle une vérité profonde : les objets ne manifestent pas spontanément leur fonction - leur potentiel ne s'actualise que dans des conditions spécifiques. Le luth, bien qu'instrument de musique, demeure silencieux sans la main qui le pince.

Second vers : « 若言声在指头上,何不千君指上听? »
Ruò yán shēng zài zhǐ tóu shang, hé bù qiān jūn zhǐ shàng tīng ?
Si l'on prétend que le son naît des doigts seuls, Pourquoi n'entend-on rien aux doigts de mille personnes ?

Ce contre-argument réfute l'idée que la subjectivité puisse engendrer l'art indépendamment. Les doigts seuls ne produisent pas de musique - la beauté artistique émerge de la synergie entre la main et l'instrument, où l'intention humaine, la technique et l'objet matériel co-créent le phénomène musical.

Lecture globale

Bien que formellement minimaliste (deux vers seulement), ce poème recèle une profondeur subtile. Par le jeu des questions, le poète évite toute définition dogmatique de l'"origine du son" pour guider vers une compréhension dialectique de l'"être" et de l"action". Le son n'est ni dans le luth ni dans les doigts, mais naît de leur interaction - comme la musique émerge de la rencontre entre l'instrument immobile et la main en mouvement.

Cette illustration concrète de la dialectique "être/non-être" révèle que : le luth existe (être), mais sans les doigts (non-être), il reste silencieux ; la main existe (être), mais sans le luth comme support (non-être), aucun son ne jaillit. C'est dans cette unité des contraires que naît la véritable beauté musicale. À travers cette métaphore, Su Shi explore la vie, l'art et la sagesse Chan avec une concision linguistique et une profondeur philosophique remarquables.

Spécificités stylistiques

  1. Art du questionnement : Usage stratégique de questions rhétoriques pour stimuler la réflexion active
  2. Économie verbale : Densité conceptuelle maximale en seulement 14 caractères
  3. Pensée chan : Illustration du principe d'"origine dépendante" (緣起) bouddhiste
  4. Dialectique concrète : Matérialisation de concepts abstraits à travers l'expérience musicale

Éclairages

Ce poème nous enseigne que toute réalisation - artistique ou existentielle - procède d'une interdépendance fondamentale. Comme le son du luth nécessite à la fois l'instrument et le musicien, nos accomplissements dépendent toujours d'une constellation de facteurs. Cette leçon de coopération universelle trouve des échos particulièrement pertinents dans notre société contemporaine hyper-spécialisée, où l'illusion de l'autonomie individuelle masque souvent nos interdépendances vitales.

Sur le plan spirituel, la dialectique "être/non-être" rejoint l'enseignement bouddhiste sur la vacuité (空) : c'est précisément dans l'apparent "vide" de l'étui ou des doigts isolés que réside le potentiel de la pleine manifestation. Le poème nous invite ainsi à cultiver une attention méditative capable d'entendre "la musique dans le silence" et de percevoir l'infini au cœur du fini.

Traducteur de poésie:

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète:

Su Shi

Su Shi (苏轼), 1036 - 1101 après J.-C., originaire de la ville de Meishan, dans la province du Sichuan, était un écrivain talentueux de la dynastie des Song du Nord. Il était très doué pour la poésie, la prose et la fugue.

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