J’ai vieilli.
Faut-il encore que le sort incertain me grise,
Qui ne mènerait qu’à une crise?
Mu quitta le souverain
Qui avait oublié de lui servir du vin,
Et Tao ne voulut pas s’incliner pour du riz.
Préfet Tao et Maître Mu,
J’ apprendrai auprès de vous.
Je ferai un jardin
Où je vivrai solitaire;
Je bâtirai encore un pavillon au coin,
D’un nom assez vulgaire.
Je boirai à loisir du vin
Et j’écrirai des vers dans mon ivresse.
En mille ans, les propriétaires changent sans cesse.
Combien de cuillerées
Peut-on prendre en une seule bouchée?
Ferme ton bec! Ne parle donc
Ni de tort ni de raison!
Poème chinois
「最高楼 · 吾衰矣」
辛弃疾
吾衰矣,须富贵何时?富贵是危机。暂忘设醴抽身去,未曾得米弃官归。穆先生,陶县令,是吾师。
待葺个园儿名“佚老”,更作个亭儿名“亦好”,闲饮酒,醉吟诗。千年田换八百主,一人口插几张匙?便休休,更说甚,是和非!
Explication du poème
Ce ci fut composé par Xin Qiji dans ses dernières années, alors qu'il quittait ses fonctions officielles pour se retirer dans les montagnes et les bois, exprimant son dégoût de la carrière bureaucratique et son aspiration à une vie pastorale. Selon les Annotations chronologiques des poèmes de Jiaxuan, ce poème constituait en réalité une "lettre familiale déguisée" adressée à son fils Xin You'an. Alors que le poète manifestait son désir de retraite, son fils l'en dissuadait au motif que la famille ne possédait pas encore de terres. Xin Qiji répondit par ce ci, mêlant ironie mordante et profonde réflexion philosophique pour contrer ces objections tout en affirmant sa résolution de se retirer et son rejet définitif des honneurs et de la richesse.
Première strophe : « 吾衰矣,须富贵何时?富贵是危机。暂忘设醴抽身去,未曾得米弃官归。穆先生,陶县令,是吾师。 »
Wú shuāi yǐ, xū fùguì hé shí? Fùguì shì wēijī. Zàn wàng shè lǐ chōu shēn qù, wèi céng dé mǐ qì guān guī. Mù xiānshēng, Táo xiànlìng, shì wú shī.
Je décline, quand donc devrais-je rechercher richesse et honneurs ? Ces biens ne recèlent-ils pas leur propre péril ? Comme Mu qui partit quand on omit le rituel, Comme Tao qui quitta son poste avant même d'en toucher le grain - Voilà mes vrais maîtres.
Les trois premiers vers, d'une franchise cinglante, réfutent directement l'argument du fils ("pas de retraite sans fortune"), révélant le désenchantement total de Xin Qiji face aux vanités mondaines. Les allusions historiques ("rituel oublié", "grain non perçu") témoignent autant de son érudition que de son ironie subtile. Face au pragmatisme filial, le poète oppose l'exemple des sages antiques, affirmant ainsi sa détermination à se retirer.
Deuxième strophe : « 待葺个园儿名‘佚老’,更作个亭儿名‘亦好’,闲饮酒,醉吟诗。千年田换八百主,一人口插几张匙?便休休,更说甚,是和非! »
Dài qì gè yuán ér míng 'yì lǎo', gèng zuò gè tíng ér míng 'yì hǎo', xián yǐn jiǔ, zuì yín shī. Qiān nián tián huàn bā bǎi zhǔ, yī rén kǒu chā jǐ zhāng chí? Biàn xiū xiū, gèng shuō shén, shì hé fēi!
Je bâtirai un jardin nommé "Retraite du Vieillard", Y ajouterai un pavillon baptisé "Aussi-Bien". À boire librement, à versifier ivre ! En mille ans, un champ change huit cents maîtres, Combien de cuillers peut-on mettre en une bouche ? Assez ! À quoi bon discuter du vrai et du faux !
Cette strophe dépeint la vie retirée telle que l'imagine le poète - avec ses lieux déjà nommés, révélant une résolution inébranlable. La rupture syntaxique accentuée crée un rythme incisif. Les proverbes bouddhistes et populaires ("huit cents maîtres", "cuillers en bouche") dévoilent avec éclat l'impermanence des choses. Dans une épiphanie finale, le "Assez !" balaie d'un revers toutes vaines disputes, dans un geste d'ultime détachement.
Lecture globale
D'une franchise désarmante en apparence, chaque vers dissimule en réalité une lame affûtée. À travers ce "dialogue à distance" avec son fils, le poète expose sa compréhension existentielle et sa détermination. L'ouverture abrupte ("Je décline") donne le ton à un raisonnement implacable où la richesse apparaît comme un piège, étayé par les exemples historiques. La seconde strophe, passant de l'idéal au concret, matérialise l'aspiration à la retraite. Les images concrètes ("huit cents maîtres", "cuillers") incarnent une sagesse transcendante. La chute ("À quoi bon…") opère une synthèse fulgurante entre détachement et mélancolie.
Spécificités stylistiques
Ce ci allie apparente simplicité et profondeur allusive. Xin Qiji maîtrise l'art de fondre érudition ("rituel", "Tao Yuanming") et langage populaire ("cuillers"), renforçant ainsi la puissance persuasive. La structure, rigoureuse bien que fluide, oppose d'abord la réfutation des conventions sociales à l'évocation d'une vie idéale. Le rythme vif, les ruptures syntaxiques créent une oralité vibrante, caractéristique du style tardif de Xin Qiji où la conversation se fait philosophie.
Éclairages
Ce poème incarne la maîtrise de soi de Xin Qiji face aux dilemmes existentiels. Son rejet violent des honneurs et son éloge de la simplicité reflètent le combat intérieur d'un lettré dont les idéaux politiques ont échoué. En notre époque obsédée par le succès, ce ci nous interroge : quelle vie mérite d'être vécue ? Le poète répond que le retrait n'est pas lâcheté mais réinvention des valeurs, que le détachement permet d'atteindre l'essentiel. C'est dans le renoncement que l'homme authentique se construit.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Xin Qiji (辛弃疾), 1140 - 1207 après J.-C., originaire de Jinan, dans la province de Shandong, était un général, un lettré et un poète de la dynastie Song. Xin Qiji n'est pas seulement l'apogée de la scène littéraire des Song du Sud, mais aussi une figure clé de l'innovation des textes dans l'histoire littéraire chinoise. La vie de Xin Qiji était empreinte de patriotisme et de l'amertume d'une ambition inassouvie, et ses textes ne sont pas seulement un témoignage de l'époque, mais aussi un véritable portrait de son parcours.