Dès qu'on s’est dit adieu au bac à l’ombre
Des feuilles de pêcher,
La rive aux saules brumeux devient sombre.
J’ai peur de monter à la tour
Car il vente et pleut neuf sur dix jours.
Nul ne se soucie des fleurs
Qui tombent une à une à briser le cœur.
Qui va supplier
Les loriots de ne plus chanter?
Jetant un coup d’œil sur la fleur
Montée en épingle et l’enlevant des cheveux
pour
En compter les pétales, au fond de mon cœur
J’anticipe la date de son retour.
La bougie éclaire mal le rideau de lit.
Sanglotant dans mon rêve, je dis:
“Le printemps m’a apporté l'ennui.
Puisqu’ à présent il est parti,
Pourquoi ne l’a-t-il pas emporté avec lui?’’
Poème chinois
「祝英台近 · 晚春」
辛弃疾
宝钗分,桃叶渡,烟柳暗南浦。怕上层楼,十日九风雨。断肠片片飞红,都无人管,更谁劝、啼莺声住?
鬓边觑,试把花卜归期,才簪又重数。罗帐灯昏,哽咽梦中语:是他春带愁来,春归何处?却不解、带将愁去。
Explication du poème
Ce ci « La Chanson d'une Belle » est une pièce tout à fait singulière dans l'œuvre de Xin Qiji. À l'opposé de son style habituel héroïque et passionné, il révèle une sensibilité délicate et raffinée, exprimant la mélancolie tendre d'une femme rêvant à l'absent tandis que décline le printemps. Bien que rare chez Xin, cette approche lyrique possède un charme distinctif, démontrant sa polyvalence artistique et sa maîtrise profonde.
Première strophe : « 宝钗分,桃叶渡,烟柳暗南浦。怕上层楼,十日九风雨。断肠片片飞红,都无人管,更谁劝、啼莺声住? »
Bǎochāi fēn, táoyè dù, yān liǔ àn nánpǔ. Pà shàng cénglóu, shí rì jiǔ fēngyǔ. Duàncháng piànpiàn fēihóng, dōu wúrén guǎn, gèng shuí quàn, tí yīng shēng zhù?
Nous nous séparâmes au Gué des Feuilles de Pêcher, épingles à cheveux brisées en deux, / Où les saules embrumés assombrissent la rive sud. / Je redoute de monter au pavillon - neuf jours sur dix apportent pluie et vent. / Mon cœur se brise à chaque pétale qui tombe, ignoré de tous, / Et qui pourrait faire taire le chant plaintif des loriot ?
Cette strophe s'ouvre sur l'allusion classique des "épingles à cheveux brisées", établissant le thème de la séparation. Les saules brumeux, les intempéries et les chants d'oiseaux construisent une atmosphère printanière empreinte de mélancolie. L'expression "redouter de monter" est particulièrement habile, capturant à la fois l'appréhension de la femme et son impuissance face au temps qui passe.
Deuxième strophe : « 鬓边觑,试把花卜归期,才簪又重数。罗帐灯昏,哽咽梦中语:是他春带愁来,春归何处?却不解、带将愁去。 »
Bìn biān qù, shì bǎ huā bo guīqī, cái zān yòu chóng shǔ. Luózhàng dēnghūn, gěngyè mèng zhōng yǔ: Shì tā chūn dài chóu lái, chūn guī héchǔ? Què bùjiě, dài jiāng chóu qù.
Je regarde les fleurs près de mes tempes, comptant les pétales pour prédire son retour, / Pour les cueillir et les recompter encore. / Sous les tentures de soie à la lueur tamisée, je sanglote dans mon rêve : / "C'est toi qui as apporté ce chagrin avec le printemps - où es-tu parti maintenant ? / Pourquoi ne pas emporter cette peine avec toi ?"
La seconde strophe plonge dans l'intimité du gynécée. Le détail touchant de "compter les pétales" révèle la folle tendresse de la femme. Les derniers vers, où elle interpelle le printemps, relient le cycle des saisons à la douleur humaine, créant une tension artistique poignante, plus émouvante encore que la première strophe.
Lecture globale
Le poème présente une double structure lyrique : surface féminine, profondeur masculine. Derrière la femme affligée se cache le poète politiquement marginalisé. Le "redouter de monter" peut se lire comme une aversion face aux déceptions de la cour. Le "compter les pétales" devient alors une métaphore de l'attente vaine d'un retour en grâce. Xin Qiji, en virtuose, transforme l'intime en universel.
Spécificités stylistiques
L'œuvre excelle dans l'art de la suggestion. Les images naturelles (saules, pétales, loriots) ne dépeignent pas seulement un paysage, mais incarnent une âme en peine. La gradation subtile du décor extérieur vers l'espace intime (du pavillon au lit clos) épouse parfaitement le mouvement introspectif de la mélancolie. L'antithèse finale entre le départ du printemps et la persistance du chagrin constitue un coup de génie.
Éclairages
Ce ci transcende son cadre historique pour parler à toutes les époques. Il montre comment les grands artistes savent métamorphoser leurs blessures personnelles en joyaux universels. Xin Qiji, en prêtant sa voix à une femme, parvient à exprimer l'indicible - cette douleur qui, trop profonde pour les mots directs, ne peut se dire qu'à travers des métaphores. Une leçon de littérature et de vie.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Xin Qiji (辛弃疾), 1140-1207 après J.-C., originaire de Jinan, dans la province de Shandong, était un général, un lettré et un poète de la dynastie Song. Xin Qiji n'est pas seulement l'apogée de la scène littéraire des Song du Sud, mais aussi une figure clé de l'innovation des textes dans l'histoire littéraire chinoise. La vie de Xin Qiji était empreinte de patriotisme et de l'amertume d'une ambition inassouvie, et ses textes ne sont pas seulement un témoignage de l'époque, mais aussi un véritable portrait de son parcours.