Entre les bambous de Wang Wei

zhu li guan
Assis tout seul au fond du bois,
Je chante au luth à pleine voix.
Oublié là comme une lacune,
Je ne suis vu que de la lune.

Poème chinois

「竹里馆」
独坐幽篁里,弹琴复长啸。
深林人不知,明月来相照。

王维

Explication du poème

Composé vers 750 durant la retraite de Wang Wei à Wangchuan, ce poème appartient au célèbre recueil des "Décades de Wangchuan". Alors que l'auteur, désillusionné par les vicissitudes politiques, se tourne vers une vie de retrait, ce texte exprime à travers une scène nocturne dans un bosquet de bambous sa quête de sérénité et de détachement du monde.

Premier couplet : « 独坐幽篁里,弹琴复长啸。 »
Dú zuò yōu huáng lǐ, tán qín fù cháng xiào.
Seul assis dans le bosquet de bambous,
Je pince la cithare, puis lance un long sifflement.

D'un pinceau dépouillé, Wang Wei esquisse une figure d'ermite transcendante. Dú zuò ("assis seul") révèle une autosuffisance tranquille, tandis que yōu huáng ("bosquet ombragé") crée un écrin de pureté. Les gestes contrastés de tán qín ("jouer de la cithare") et cháng xiào ("siffler longuement") mêlent calme et mouvement, incarnant une liberté d'esprit affranchie des contingences terrestres.

Deuxième couplet : « 深林人不知,明月来相照。 »
Shēn lín rén bù zhī, míng yuè lái xiāng zhào.
La forêt profonde ignore ma présence,
Seule la lune claire vient m'éclairer.

Le passage du sujet au paysage opère une sublimation. Rén bù zhī ("inconnu des hommes") suggère une noblesse solitaire, tandis que le verbe lái ("venir") personnifie la lune en confidente. Cette clarté lunaire, témoin de sa pureté intérieure, établit une communion silencieuse entre le poète et l'univers, évoquant la notion taoïste de "compagnon céleste".

Appréciation générale

En vingt caractères seulement, ce poème construit un tableau méditatif d'une profondeur exceptionnelle. Wang Wei, évitant tout ornement rhétorique, capture avec un naturel parfait l'essence d'une existence recluse et sereine. La progression fluide - de l'assise silencieuse aux notes musicales, puis du sifflement à l'illumination lunaire - réalise une fusion organique entre scène et sentiment. Loin de toute mélancolie, cette solitude révèle une plénitude joyeuse, illustrant l'idéal confucéen de "ne pas s'irriter d'être méconnu". Son isolement n'est pas fuite mais communion, transformant la retraite en dialogue extatique avec la nature.

Caractéristiques stylistiques

Le génie de ce poème réside dans sa capacité à suggérer l'infini avec une extrême économie de moyens. Les motifs du yōu huáng ("bosquet de bambous") et du míng yuè ("lune claire") créent une atmosphère de transcendance, tandis que le cháng xiào ("long sifflement") et le lái xiāng zhào ("venir éclairer") insufflent vie et spiritualité. La composition, jouant des contrastes entre mouvement et immobilité, entre tangible et intangible, révèle simultanément le personnage, son environnement et son idéal intérieur. Sans jamais mentionner explicitement l'érémitisme, chaque vers exhale cet état de "délivrance des artifices" propre au taoïsme, faisant de ce texte un modèle de densité poétique.

Éclairages

Ce poème transmet un idéal de vie où l'élévation intérieure s'accorde à l'harmonie naturelle. Il nous invite, dans le tumulte contemporain, à cultiver notre "bosquet intérieur" et à laisser la clarté lunaire purifier nos cœurs. Savoir trouver joie dans la solitude et dialoguer avec l'univers dans le silence constitue une sagesse autant qu'une libération. Wang Wei nous révèle ainsi que la vraie paix et la liberté authentique jaillissent non des circonstances extérieures, mais d'un esprit détaché et autosuffisant. En cette époque de surstimulation, son message garde toute sa pertinence : le bonheur durable se niche dans la simplicité volontaire et la communion contemplative avec le monde.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong

À propos du poète

Wang Wei

Wang Wei (王维), 701 - 761 après J.-C., était originaire de Yuncheng, dans la province de Shanxi. Ses poèmes de paysages et d'idylles, aux images d'une grande portée et aux significations mystérieuses, ont été largement appréciés par les lecteurs des générations suivantes, mais Wang Wei n'est jamais vraiment devenu un homme de paysages et d'idylles.

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