Quittant la ville, j’ai un long chemin à faire,
Passant les monts hauts et bas près d’une rivière.
La porte du Col n'enferme pas 1’ eau courante
Qui pousse toute nuit des plaintes déchirantes.
Poème chinois
「再宿武关」
李涉
远别秦城万里游,乱山高下出商州。
关门不锁寒溪水,一夜潺湲送客愁。
Explication du poème
Ce poème composé lors d'un exil nocturne à la Passe de Wu, capture l'âme d'un lettré brisé par la disgrâce impériale. Li She, frappé par l'ostracisme politique, trouve dans ce lieu stratégique entre Qin et Chu le décor idéal pour exprimer sa mélancolie d'homme déchu. Chaque vers distille l'amertume d'un voyage sans retour loin de la capitale.
Premier distique : « 远别秦城万里游,乱山高下出商州。 »
Yuǎn bié Qín chéng wàn lǐ yóu, luàn shān gāo xià chū Shāng zhōu.
Adieu lointain à la cité des Qin, errance de dix mille lieues, Par monts chaotiques, hauts et bas, franchissant Shangzhou.
L'ouverture frappe par sa violence contenue. "Adieu lointain" scelle une rupture définitive avec le pouvoir ("cité des Qin" désignant Chang'an). Les "monts chaotiques" reflètent le tumulte intérieur du poète, tandis que "franchir Shangzhou" matérialise le passage dans l'inconnu de l'exil. La métaphore géographique devient autobiographie douloureuse.
Second distique : « 关门不锁寒溪水,一夜潺湲送客愁。 »
Guān mén bù suǒ hán xī shuǐ, yī yè chán yuán sòng kè chóu.
Les portes verrouillées n'arrêtent l'eau glacée du ruisseau, Toute la nuit son murmure accompagne le chagrin du voyageur.
Ce couplet sublime le désespoir en poésie pure. L'oxymore des "portes verrouillées" impuissantes face au ruisseau symbolise l'inutilité des barrières humaines contre le flux du destin. Le "murmure nocturne" transforme un son naturel en complainte existentielle, où l'eau devient confidente des peines insomniques.
Lecture globale
Ce chef-d'œuvre du lyrisme Tang transcende la simple complainte d'exilé. La Passe de Wu, habituellement symbole militaire, devient ici paysage intérieur. La fusion entre éléments naturels ("monts", "eau") et émotions humaines crée une cartographie poétique de la souffrance. Contrairement aux odes triomphales, cette œuvre trouve sa puissance dans la retenue et la suggestion.
Spécificités stylistiques
L'art de Li She réside dans l'économie de moyens : vingt-huit caractères suffisent à construire un univers complet. Les antithèses spatiales (haut/bas, enfermé/coulant) et thermiques (glace/chaleur émotionnelle) structurent une tension dramatique subtile. L'absence totale de première personne rend l'expression plus universelle.
Éclairages
Ce poème offre une leçon de résilience par l'art. En métamorphosant sa douleur en paysage sonore, le poète accomplit l'alchimie propre aux grands créateurs : transformer le plomb de l'échec en or poétique. La Passe de Wu devient ainsi tout autant un lieu géographique qu'un passage initiatique - celui qui mène de l'amertume politique à la transcendance artistique. Une méditation intemporelle sur le pouvoir cathartique de la création face à l'adversité.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Li Shu (李涉, vécu vers 806 après J.-C.) était un poète de la dynastie Tang, originaire de Luoyang, dans la province du Henan.