Ton visage est trop tendre pour se noyer de pleurs;
Tes sourcils sont longs à sentir la douleur.
Deux-tiers des nuits où la lune pleine est brillante
Me font souvenir de ta ville florissante.
Poème chinois
「忆扬州」
徐凝
萧娘脸薄难胜泪,桃叶眉尖易觉愁。
天下三分明月夜,二分无赖是扬州。
Explication du poème
Ce poème de Xu Ning, célèbre œuvre des Tang, condense en quatre vers seulement une profonde émotion et une construction ingénieuse. À travers le chagrin d'une femme au moment des adieux et sa propre nostalgie de Yangzhou, le poète crée un univers poétique intense et évocateur. Le texte mêle portrait psychologique fin et métaphores subtiles, progressant par degrés vers une expression achevée de l'infini regret du pays perdu.
Premier distique : « 萧娘脸薄难胜泪,桃叶眉尖易觉愁。 »
Xiāo niáng liǎn báo nán shèng lèi, táo yè méi jiān yì jué chóu.
Le visage délicat de Dame Xiao ne peut contenir ses larmes,
Ses sourcils en feuille de pêcher trahissent trop aisément son chagrin.
Ce distique dépeint avec finesse l'affliction de "Dame Xiao" lors des séparations. "Visage délicat" (脸薄) et "ne peut contenir" (难胜) soulignent sa fragilité et sa sensibilité, tandis que "sourcils en feuille de pêcher" (桃叶眉) décrit l'élégance de ses traits où la tristesse se lit facilement. Le portrait, d'une vive tendresse, rend le personnage profondément touchant.
Deuxième distique : « 天下三分明月夜,二分无赖是扬州。 »
Tiān xià sān fēn míng yuè yè, èr fēn wú lài shì Yángzhōu.
Si la clarté lunaire se partageait en trois parts sous le ciel,
Deux, par une malice, échoiraient à Yangzhou.
Le poète projette son sentiment sur la lune, fusionnant nostalgie et paysage nocturne. "Malice" (无赖) est chargé d'une ambiguïté émotionnelle : il suggère à la fois la mélancolie provoquée par cette lumière et l'attachement indéfectible du poète à sa ville. La métaphore, d'une originalité frappante, grave l'image de Yangzhou dans l'esprit avec une force inoubliable.
Lecture globale
Bien qu'intitulé « Souvenir », ce poème exprime en réalité une profonde nostalgie pour Yangzhou et les sentiments intimes liés aux personnes et aux lieux du passé. Les deux premiers vers, à travers l'image de Xiao Niang, transmettent la mélancolie de la séparation, préparant le terrain émotionnel. Les deux derniers vers, quant à eux, utilisent la clarté lunaire pour élever ces sentiments vers un regret infini pour Yangzhou, créant ainsi une progression affective allant de l'individu au lieu, du proche au lointain. Le poète excelle dans les descriptions vivantes et les métaphores audacieuses, conférant à ces quatre vers seulement une tension remarquable, où l'émotion circule naturellement et où le paysage se fond dans le sentiment. Yangzhou n'est plus simplement une ville géographique, mais une partie indissociable de la mémoire affective, tandis que la lune devient le symbole de l'expression des sentiments. Ce traitement artistique, passant du concret à l'abstrait et de l'émotion personnelle à une résonance universelle, donne à ce poème, bien que bref, une profondeur significative.
Spécificités stylistiques
Ce poème se distingue par son langage concis, ses images condensées et une émotion subtile mais retenue, pleine de tension. Le poète utilise habilement la description d'un personnage pour transmettre la tristesse de la séparation, puis emploie la « lune » comme symbole du regret. Avec l'expression audacieuse « Deux parts de clarté reviennent à Yangzhou », il attribue à la ville un poids émotionnel profond. La profondeur des sentiments dans un cadre minimal, l'ingéniosité cachée dans la retenue, voilà ce qui constitue le charme artistique des quatrains des Tang.
Éclairages
Ce poème nous enseigne que les œuvres poétiques véritablement touchantes ne dépendent pas de descriptions grandioses, mais savent plutôt déposer des émotions dans les détails les plus infimes. À travers la tristesse d'un personnage et la clarté de la lune, le poète évoque un attachement profond pour une ville, faisant de Yangzhou un lieu particulièrement émouvant sous la lumière lunaire et la mélancolie. Il nous rappelle que l'expression des sentiments peut être à la fois subtile et profonde, transformant les émotions subjectives en images concrètes grâce au symbolisme et à l'imagination, permettant ainsi à un poème court de laisser une résonance infinie et de remuer les cœurs.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Xu Ning (徐凝), poète de la dynastie Tang, originaire de Muzhou (actuelle Jiande, Zhejiang). Actif principalement durant les ères Yuanhe à Dahe (806-835), il fréquenta Bai Juyi et Yuan Zhen. Spécialiste du quatrain heptamétrique, son style se caractérise par une clarté naturelle. Le Quan Tangshi conserve un rouleau de ses poèmes. Son chef-d'œuvre "Souvenir de Yangzhou" reste un joyau intemporel de la poésie chinoise.