Déserté le palais royal d’antan,
Pour qui poussent encore les rouges fleurs?
Une dame d’honneur aux cheveux blancs
Regrette seule l’ancien empereur.
Poème chinois
「行宫」
元稹
寥落古行宫,宫花寂寞红。
白头宫女在,闲坐说玄宗。
Explication du poème
Ce poème de Yuan Zhen évoque avec une sobriété poignante le palais abandonné de Shangyang à Luoyang. Jadis fastueuse résidence de l'ère Xuanzong, ce lieu devint après la rébellion d'An Lushan une prison dorée pour des courtisanes confinées pendant quarante ans. À travers ce microcosme désolé, le poète déploie une méditation sur la fugacité des gloires terrestres.
Premier distique : « 寥落古行宫,宫花寂寞红。 »
Liáoluò gǔ xínggōng, gōng huā jìmò hóng.
Désert, l'antique palais d'étape, Solitaires, les fleurs rouges des cours.
L'adjectif "désert" (寥落) sonne comme un glas, tandis que l'oxymore "fleurs solitaires" (寂寞红) métamorphose la couleur vive en symbole de mélancolie. La répétition de "palais" (宫) crée un écho architectural, comme si les murs eux-mêmes pleuraient leur splendeur perdue.
Second distique : « 白头宫女在,闲坐说玄宗。 »
Báitóu gōngnǚ zài, xián zuò shuō Xuánzōng.
Courtisanes aux cheveux blancs encore présentes, Assises oisives, parlant de Xuanzong.
Le contraste entre la blancheur sénile (白头) et la rougeur florale précédente scelle le destin des habitantes. Le verbe "parler" (说), apparemment anodin, devient terrible : ces femmes n'ont plus que des souvenirs à échanger, transformant l'empereur défunt en fantôme conversationnel.
Lecture globale
En vingt caractères d'une concision remarquable, ce poème brosse un tableau d'une mélancolie poignante : un vieux palais déserté tombe en ruine, tandis que des dames de cour aux cheveux blancs, survivantes d'un autre âge, s'attardent dans des souvenirs évanouis. Le poète, à travers cette évocation du cadre, reflète l'implacable fuite du temps et l'amertume des vicissitudes humaines. La description initiale - un palais "désolé" et des fleurs d'un "rouge solitaire" - crée un contraste saisissant avec la splendeur passée des lieux. Puis le regard se porte sur les personnages : quelques dames âgées, isolées, dont l'unique réconfort réside dans l'évocation d'un âge d'or révolu. Ce contraste violent entre mémoire et réalité donne toute sa puissance au poème, qui exprime à la fois la tristesse des choses changées et la cruelle indifférence de l'histoire face aux destins individuels.
Spécificités stylistiques
La langue, d'une extrême économie, recèle une profondeur émotionnelle rare. Yuan Zhen, en maître de la suggestion, construit avec une sobriété calculée un tableau où paysage et personnages, temporalité et destinée s'entrelacent dans une tension dramatique. Les termes "désolé" et "solitaire" deviennent des leitmotivs exprimant tant la désolation des lieux que la vacuité intérieure des habitantes. Les cheveux blancs des dames et leurs souvenirs nostalgiques servent de marqueurs temporels, soulignant l'inexorable passage des ans et l'alternance inéluctable de prospérité et de déclin.
Éclairages
Ce déclin du palais et ce vieillissement des dames de cour fonctionnent comme une allégorie des mutations historiques, nous invitant à chérir bonheurs présents et périodes fastes, car rien ne résiste à l'érosion du temps. Le poète, à travers ces évocations mémorielles, met aussi en garde contre la dangereuse tentation de vivre dans le passé. Si les souvenirs d'âge d'or peuvent offrir un réconfort illusoire, ils risquent aussi d'enfermer l'âme dans une stérile nostalgie. Cette œuvre nous incite donc à méditer sur l'art d'accepter le changement et d'embrasser la réalité, seul antidote contre la mélancolie paralysante des regrets.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Yuan Zhen (元稹), 779 - 831 après J.-C., originaire de Luoyang, dans la province du Henan, fut pauvre dans ses jeunes années et devint fonctionnaire en 793 après avoir réussi l'examen impérial, mais il fut ensuite rétrogradé pour avoir offensé les eunuques et les bureaucrates démodés, et mourut d'une violente maladie sur le chemin de son poste. Il était ami avec Bai Juyi et écrivait souvent des poèmes ensemble.