Je monte à la terrasse de l’ouest sans dire mot;
La lune est pendue comme au croc.
Dans la cour le platane solitaire
Enferme l’arrière-saison claire.
Comme cheveux ébouriffés
Qu’ on ne peut ni couper
Ni peigner,
La séparation nous tourmente le cœur
De sa singulière saveur.
Poème chinois
「相见欢 · 无言独上西楼」
李煜
无言独上西楼,月如钓。寂寞梧桐深院锁清秋。
剪不断,理还乱,是离愁。别是一番滋味在心头。
Explication du poème
Ce poème lyrique fut composé durant la captivité de Li Yu sous la dynastie Song. En tant que souverain déchu, il endura l'humiliation dans les geôles de la cour des Song, où la réalité de son royaume détruit ne fit qu'accroître son affliction. À travers des paysages et l'expression d'émotions intimes, l'œuvre révèle la profonde mélancolie de Li Yu et sa douleur indicible.
Première strophe : « 无言独上西楼,月如钩。寂寞梧桐深院锁清秋。 »
Wú yán dú shàng xī lóu, yuè rú gōu. Jìmò wútóng shēn yuàn suǒ qīng qiū.
Muet, seul, je gravis la tour ouest,
La lune croît comme un crochet.
Dans la cour profonde, un sterculier solitaire
Enferme l'automne dans sa clarté.
Cette strophe établit une atmosphère de solitude absolue. "Muet" et "seul" peignent un isolement existentiel, tandis que la "lune-crochet" évoque les phases changeantes du destin. Le sterculier solitaire et la cour profonde deviennent les gardiens métaphoriques de la mélancolie automnale, reflétant l'état d'âme du poète.
Deuxième strophe : « 剪不断,理还乱,是离愁。别是一番滋味在心头。 »
Jiǎn bù duàn, lǐ hái luàn, shì lí chóu. Bié shì yī fān zīwèi zài xīntóu.
Incessable si je coupe,
Plus emmêlé si je démêle -
Tel est le chagrin de l'adieu.
Saveur unique au creux du cœur.
Le poète compare son chagrin à des fils inextricables - image devenue proverbiale en Chine. "Saveur unique" révèle la nature complexe de sa douleur, mélange de regret, de honte et de résignation, bien au-delà d'une simple nostalgie.
Analyse approfondie
La première strophe, toute en paysages, prépare l'explosion émotionnelle de la seconde. Les images - lune solitaire, arbre dépouillé, cour fermée - forment une prison symbolique. La seconde strophe, avec sa célèbre métaphore des fils emmêlés, donne une forme tangible à la douleur abstraite, culminant dans l'aveu d'une souffrance "unique", à la fois personnelle et universelle.
Spécificités stylistiques
- Nature miroir : Chaque élément du paysage reflète un aspect de l'âme emprisonnée.
- Métaphore organique : Les fils emmêlés deviennent archétype de la douleur complexe.
- Contraste structurel : La strophe descriptive (extérieure) précède l'explosion lyrique (intérieure).
- Économie verbale : Vingt-huit caractères seulement pour exprimer l'inexprimable.
Éclairages
Plus qu'un poème de circonstance, cette œuvre transcende son époque pour parler de toute condition humaine face à l'irrémédiable. De monarque à prisonnier, Li Yu incarne la fragilité des destins. Son "chagrin unique" nous rappelle que les grandes douleurs sont toujours singulières, et pourtant, étrangement partagées. En cela réside le génie de Li Yu : transformer son drame personnel en miroir universel.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Li Yu (李煜) (937 - 978 AD), empereur de la dynastie des Tang du Sud, était un artiste aux multiples talents, doué pour la calligraphie et la peinture, pour la poésie et les textes, et pour la musique. Ses poèmes, en particulier ceux de la fin de sa vie, exprimaient principalement ses sentiments uniques face à la vie, la tristesse de perdre son pays, le chagrin de ne pas pouvoir maîtriser sa propre vie, le vide et la désillusion de son destin, ainsi que la tristesse et le désespoir de sa vie.