Sur la tour ouest je vois s’étendre le chagrin,
Saule et roseau tressaillent, dont l'ilot est plein.
Le soleil décline à travers les nues sur l’eau;
Avant la pluie le vent emplit la tour en haut.
Des oiseaux descendent au jardin déserté,
De chants des cigales l’automne est attristé.
Si un passant veut savoir l’ancienne histoire,
Le fleuve à l’est est plein de tristesse à boire.
Poème chinois
「咸阳城西楼晚眺」
许浑
一上高城万里愁,蒹葭杨柳似汀洲。
溪云初起日沉阁,山雨欲来风满楼。
鸟下绿芜秦苑夕,蝉鸣黄叶汉宫秋。
行人莫问当年事,故国东来渭水流。
Explication du poème
Ce poème fut composé un soir d'automne de l'an 849, lorsque le poète Xu Hun, gravissant les anciennes murailles occidentales de Xianyang, laissa son regard errer sur le paysage et, ému par ce qu'il voyait, traça ces vers. Confronté à la désolation du présent et au poids de l'histoire, son cœur vibrait d'une nostalgie sans bornes et de réflexions mélancoliques sur son époque. Le poème cache des sentiments dans ses paysages et de l'histoire dans ses émotions, créant une œuvre à la fois sombre, rythmée et intemporelle.
Premier distique : « 一上高城万里愁,蒹葭杨柳似汀洲。 »
Yī shàng gāo chéng wàn lǐ chóu, jiānjiā yángliǔ shì tīng zhōu.
En montant sur les hautes murailles, une mélancolie de dix mille lieues - Les roseaux et les saules ressemblent aux rivages du sud.
Le poète, du haut des remparts, contemple au loin les roseaux et les saules entrelacés, évoquant comme dans un rêve les paysages aquatiques du Jiangnan, ce qui éveille en lui une profonde nostalgie. Le mot "mélancolie" (愁) domine l'ensemble du poème, établissant d'emblée un ton de tristesse.
Second distique : « 溪云初起日沉阁,山雨欲来风满楼。 »
Xī yún chū qǐ rì chén gé, shān yǔ yù lái fēng mǎn lóu.
Les nuages sur le ruisseau s'élèvent, le soleil se couche derrière le pavillon - La pluie menace dans les montagnes, le vent emplit la tour.
Ce distique décrit l'atmosphère tendue du crépuscule, où nuages et vent annoncent la pluie, capturant non seulement la beauté dynamique de la nature, mais symbolisant aussi l'instabilité des temps. Ces vers, riches en images, sont devenus immortels.
Troisième distique : « 鸟下绿芜秦苑夕,蝉鸣黄叶汉宫秋。 »
Niǎo xià lǜ wú Qín yuàn xī, chán míng huáng yè Hàn gōng qiū.
Les oiseaux descendent sur les herbes vertes des jardins Qin au crépuscule - Les cigales chantent parmi les feuilles jaunes des palais Han en automne.
Face à ces étendues d'herbes sauvages et de feuilles mortes, le poète entrelace la réalité avec les vestiges des palais Qin et Han, exprimant une lamentation profonde sur le déclin des dynasties. L'illusion historique se mêle à la désolation présente, transformant la "mélancolie de dix mille lieues" en "regret pour les millénaires passés".
Quatrième distique : « 行人莫问当年事,故国东来渭水流。 »
Xíngrén mò wèn dāngnián shì, gù guó dōng lái Wèi shuǐ liú.
Voyageur, ne demande rien des temps anciens - La rivière Wei coule vers l'est depuis le pays perdu.
Le poème s'achève sur ces mots de consolation, lourds de sens. La rivière Wei coule silencieusement vers l'est, mais ses eaux portent les blessures de la patrie perdue et l'impermanence de la vie. Le poète cache sa douleur derrière un "ne demande rien" et confie son chagrin à la rivière Wei, atteignant une conclusion d'une profondeur et d'une subtilité extraordinaires.
Lecture globale
Le poème suit le fil conducteur d'une "contemplation nocturne", passant du lointain au proche, du paysage à l'émotion. Le poète, prenant les remparts de Xianyang comme point d'observation, embrasse du regard les terres désolées du nord-ouest, dépeignant les scènes naturelles sous les lourdes couleurs du crépuscule automnal, entrelacées avec la désillusion historique et les chagrins personnels. Commençant par une "mélancolie de dix mille lieues", il progresse par étapes, dépeint ensuite l'atmosphère tendue de la pluie imminente, puis oppose le passé au présent pour révéler les palais en ruines et les changements de dynasties, pour finalement conclure avec le flux vers l'est de la rivière Wei, laissant une impression de vide et de solitude, profonde et lointaine. Chaque distique est ciselé avec précision, alliant réalisme et suggestion, mêlant beauté picturale et inquiétude pour le pays.
Spécificités stylistiques
Ce poème se distingue par sa fusion des paysages et des émotions, son entrelacement du réel et de l'imaginaire, et sa progression par étapes. Dans la description des paysages, mouvement et immobilité s'unissent : des images dynamiques comme "les nuages sur le ruisseau s'élèvent" ou "la pluie menace dans les montagnes" alternent avec des scènes statiques comme "les oiseaux descendent sur les herbes vertes" ou "les cigales chantent parmi les feuilles jaunes", créant un fort contraste visuel et émotionnel. Sur le plan émotionnel, le poème part de la mélancolie née de l'ascension des remparts, passe par une méditation nostalgique sur l'histoire, pour s'achever sur la réflexion philosophique du "ne demande rien", dans un cycle qui revient sur lui-même, d'une résonance infinie. Le langage est concis, les images profondes, les allusions historiques discrètes, la structure serrée et naturelle, atteignant une perfection rare.
Éclairages
Ce poème n'est pas seulement une célèbre méditation sur le passé inspirée par une vue depuis les remparts ; c'est aussi une expression poétique par laquelle Xu Hun utilise l'histoire pour critiquer son époque et les paysages pour évoquer la politique. Il nous enseigne que face à une époque de changements imprévisibles et de bouleversements, seule une réflexion profonde sur l'histoire et une attention au présent peuvent nous empêcher d'être trompés par les brumes de l'actualité. Dans le flux changeant des affaires humaines, les anciens sites de Xianyang et les eaux orientales de la Wei sont à la fois le passage du temps et les témoins des leçons de l'histoire. La beauté austère et la conscience historique contenues dans ce poème restent toujours neuves, toujours actuelles à chaque lecture.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Xu Hun (许浑), vers 791 - 858 après J.-C., était un poète de la dynastie Tang, originaire de Danyang, dans la province de Jiangsu. Il était l'un des poètes les plus influents de la fin de la dynastie Tang, et était connu pour ses poèmes nostalgiques et idylliques, dans lesquels il parlait de l'eau et de la pluie.