La dame s’est parée;
Seule à la terrasse elle est montée.
Un grand fleuve s’en va coulant...
Mille voiles ont passé, mais celle qu’ elle attend...
La course du soleil décline sans retour;
Le grand fleuve coule toujours,
Indifférent à son chagrin au crépuscule.
Oh! l’île blanche des lenticules!
Poème chinois
「望江南 · 梳洗罢」
温庭筠
梳洗罢,独倚望江楼。
过尽千帆皆不是,斜晖脉脉水悠悠。
肠断白苹洲。
Explication du poème
Ce célèbre ci est un chef-d'œuvre de Wen Tingyun, poète de la fin des Tang, représentatif des chants courts sur les regrets féminins. À cette époque troublée par les guerres et l'instabilité sociale, lettrés et peuple nourrissaient généralement des sentiments d'angoisse et de mélancolie. Wen Tingyun, avec son style délicat et raffiné, excellait particulièrement à décrire la psychologie féminine et les scènes de vie. Ce ci capture le fragment d'une femme s'appuyant sur un pavillon au bord du fleuve dans l'attente du retour, exprimant toute la tristesse de la séparation, avec à la fois le vide artistique et la douce mélancolie humaine, reflétant la transition du style ci de la fin des Tang, passant de l'exubérance à la délicatesse.
Première strophe : « 梳洗罢,独倚望江楼。 »
Shū xǐ bà, dú yǐ wàng jiāng lóu.
Sa toilette achevée, seule elle s'accoude au pavillon sur le fleuve.
Ce vers décrit une femme qui, après s'être soigneusement parée le matin, monte au pavillon dans l'espoir de voir revenir celui qu'elle attend. Le mot "seule" (独) fusionne solitude et ferveur, suggérant que son attente ne date pas d'un jour ou deux, mais se répète jour après jour, devenant même une routine quotidienne.
Deuxième strophe : « 过尽千帆皆不是,斜晖脉脉水悠悠。 »
Guò jìn qiān fān jiē bú shì, xié huī mò mò shuǐ yōu yōu.
Mille voiles passent, aucun n'est le sien,
Les rayons obliques tendres, les eaux infinies.
"Mille voiles" symbolisent l'espoir, mais aussi les attentes déçues ; chaque silhouette de voile pourrait porter le bien-aimé, mais "aucun n'est le sien" lui perce le cœur à chaque fois. Le soleil couchant et le fleuve sont des scènes objectives, mais semblent aussi refléter son état d'âme - une tendresse profonde, une tristesse infinie, l'humain et le paysage ne faisant plus qu'un.
Troisième strophe : « 肠断白苹洲。 »
Cháng duàn bái píng zhōu.
Le cœur brisé par l'île aux herbes blanches.
"L'île aux herbes blanches" (白苹洲) est dans la poésie classique un symbole de nostalgie et de séparation, incarnant le profond attachement de la femme à son aimé. Bien que bref, ce vers porte l'émotion du ci à son paroxysme. "Cœur brisé" condense une douleur sourde en un cri déchirant, tandis que "l'île aux herbes blanches" laisse au lecteur un espace infini d'imagination.
Lecture globale
Ce ci d'une écriture extrêmement sobre déborde pourtant d'émotion. Le poète prend pour cadre la contemplation du fleuve depuis un pavillon, captant un moment entre l'aube et le crépuscule, sans décrire aucun personnage concret, mais esquissant la scène poignante d'une femme attendant avec solitude son bien-aimé au bord de l'eau. Le ci ne contient aucun mot d'emphase, mais l'émotion y ondule : de l'espoir du matin à la déception infinie du soir, pour se condenser enfin dans "le cœur brisé par l'île aux herbes blanches". Ce pinceau à la fois douloureux et retenu est l'incarnation parfaite du style délicat caractéristique de Wen Tingyun. Le contraste entre la légèreté de la scène et l'intensité de l'émotion rend ce ci particulièrement touchant.
Spécificités stylistiques
Ce petit ci possède une structure extrêmement resserrée, un langage concis mais riche de sens, et compte parmi les œuvres les plus représentatives du style de Wen Tingyun. Sans employer une seule fois le mot "tristesse", il n'en parle que de cela ; sans mentionner "attente" ou "rancœur", chaque vers en est imprégné. Le poète utilise avec habileté des éléments naturels symboliques - le pavillon sur le fleuve, les voiles lointaines, le soleil couchant, le cours de l'eau - pour incarner les émotions du personnage, fusionnant parfaitement sentiments et paysage. Dès l'ouverture avec "sa toilette achevée", l'attente du retour est sous-entendue, tandis que "seule elle s'accoude au pavillon sur le fleuve" révèle la posture de solitude et d'attente, le mot "seule" présentant le monde intérieur de la femme à la fois avec retenue et authenticité.
La description des changements psychologiques est d'une finesse extrême : "mille voiles passent, aucun n'est le sien" ne peint pas seulement un mouvement visuel continu, mais aussi la transition émotionnelle de l'espoir à la déception, avec une force picturale et psychologique remarquable. Le couplet "les rayons obliques tendres, les eaux infinies" fusionne parfaitement émotion et paysage : le soleil tendre mais les eaux indifférentes ressemblent aux joies et peines des rencontres et séparations humaines, cachant une profonde mélancolie sous des apparences simples. La conclusion "le cœur brisé par l'île aux herbes blanches" clôt l'ensemble avec un symbole retenu, condensant des émotions complexes et profondes en un point de rupture chargé de tension, laissant aussi au lecteur un espace infini de méditation. Tout le ci exprime la tristesse dans un langage clair et naturel, sans affectation ni crudité, formant un style unique parmi les œuvres de Wen Tingyun, d'une beauté artistique et d'un pouvoir émouvant exceptionnels.
Éclairages
Ce ci ne révèle pas seulement le monde émotionnel sincère et délicat des femmes anciennes, il incarne aussi l'idéal esthétique de la littérature classique chinoise : "la fusion du sentiment et du paysage", "le triomphe du simple sur le complexe". Aujourd'hui, il nous invite à repenser la tension psychologique entre "attente" et "espoir", et comment capturer en quelques mots seulement la tendresse et la solitude au plus profond de la nature humaine. L'émotion exprimée dans ce ci transcende les limites de l'époque et du genre ; ce qu'il raconte, c'est une affection à la fois la plus douce et la plus résiliente.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Wen Ting-yun (温庭筠) était originaire de Qixian, dans le Shanxi, vers 813 - 870 apr. Wen Tingyun était un écrivain de la fin de la dynastie Tang, et était autrefois connu comme « l'initiateur de la maison des fleurs ». Dans sa jeunesse, il était très talentueux, mais son comportement était débridé, il entrait et sortait des bordels et des maisons closes, et la majeure partie de son talent a été gaspillée dans ces vies.