La Chanson du Dragon de l’Eau de Su Shi

shui long yin · ci yun zhang zhi fu yang hua ci
Vous ressemblez aux fleurs mais n’êtes pas des fleurs;
Votre chute ne nous arrache pas de pleurs.
Vous quittez l’arbre et vaguez en dansant,
Capricieuses, mais sensibles, j’entends.
Le cœur par le chagrin meurtri
Et l'œil entrouvert, assoupi.
Vous rêvez, entraînées mille li par la brise.
D’aller chercher l’ami dont votre âme est éprise.
Mais vous serez réveillées bientôt
Par le chant des loriots.
Ce n’est pas votre chute que je regrette
Mais celle des fleurs que je ne remette
Aux branches dans le jardin.
Après l’averse du matin.
Vous tombez sans laisser d’autres traces
Qu’un étang de lenticules brisées. De la grâce
Du printemps, deux tiers tombent dans la poussière,
Un tiers dans le courant de la rivière.
Si on regarde de près, ce ne sont ni les fleurs
Ni les chatons de saule qui parent
Le printemps; seulement les pleurs
Versés goutte à goutte par ceux qui se séparent.

Poème chinois

「水龙吟 · 次韵章质夫杨花词」
似花还似非花,也无人惜从教坠。抛家傍路,思量却是,无情有思。萦损柔肠,困酣娇眼,欲开还闭。梦随风万里,寻郎去处,又还被、莺呼起。
不恨此花飞尽,恨西园、落红难缀。晓来雨过,遗踪何在?一池萍碎。春色三分,二分尘土,一分流水。细看来不是,杨花点点,是离人泪。

苏轼

Explication du poème

Ce poème fut probablement composé par Su Shi vers l'âge de 45 ans, durant son exil à Huangzhou, représentant son style lyrique et délicat. Prenant comme symbole les chatons de peuplier voltigeant à la fin du printemps, il exprime une mélancolie universelle face aux séparations, dans une langue éthérée et une émotion profonde, atteignant une parfaite fusion entre paysage et sentiment.

Première strophe : « 似花还似非花,也无人惜从教坠。抛家傍路,思量却是,无情有思。萦损柔肠,困酣娇眼,欲开还闭。梦随风万里,寻郎去处,又还被、莺呼起。 »
Ces fleurs qui n'en sont pas vraiment, personne ne les plaint dans leur chute. Rejetées près du chemin, elles semblent indifférentes mais recèlent une tristesse secrète. Leur chagrin noue les entrailles, leurs yeux las s'ouvrent à peine pour se refermer. Rêvant de parcourir mille lieues avec le vent à la recherche de l'aimé, elles sont soudain réveillées par le chant des orioles.

La strophe s'ouvre sur l'image ambiguë des chatons - fleurs sans être fleurs - dépeignant une scène printanière empreinte de nostalgie. Le paradoxe initial ("fleurs qui n'en sont pas") révèle leur identité incertaine et leur destin négligé. Les verbes "rejetées", "près du chemin" les personnifient en êtres errants, tandis que "indifférentes mais tristes" dévoile leur richesse intérieure. Progressivement, les chatons se transforment en une amante éplorée, avec ses entrailles nouées, ses paupières alourdies, ses rêves interrompus - métamorphose qui prépare la lamentation sur le printemps qui s'achève.

Seconde strophe : « 不恨此花飞尽,恨西园、落红难缀。晓来雨过,遗踪何在?一池萍碎。春色三分,二分尘土,一分流水。细看来不是,杨花点点,是离人泪。 »
Je ne maudis pas ces fleurs envolées, mais les pétales du jardin occidental qu'on ne peut rattacher. Après l'averse matinale, où sont leurs traces ? Seuls des lentilles d'eau brisées. Si le printemps se divisait, deux parts iraient à la poussière, une à l'eau courante. En y regardant bien, ces points blancs ne sont pas des chatons de peuplier, mais les larmes des amants séparés.

La seconde strophe déplace la tristesse des fleurs vers le regret du printemps, utilisant les pétales tombés comme contrepoint. "Je ne maudis pas" est une feinte rhétorique - le vrai chagrin vient de l'impossibilité de retenir les fleurs ("qu'on ne peut rattacher"). La pluie matinale efface toute trace, ne laissant que des lentilles d'eau brisées, image poignante de la disparition. Le vers "Si le printemps se divisait…" décompose métaphoriquement la saison en éléments éphémères, avant la révélation finale : ce qui voltige n'est pas duveteux mais lacrymal.

Lecture globale

Ce "Chant du dragon d'eau" transcende la simple description botanique pour élever les chatons de peuplier au rang de symbole de l'amante abandonnée. Le poème capture à la fois leur apparence physique et leur "tristesse secrète", transformant finalement ces particules végétales en larmes humaines. La structure rigoureuse passe habilement de l'observation à l'introspection, utilisant rêves et réalité entrelacés pour créer un univers où paysage et psyché ne font qu'un.

Spécificités stylistiques

Su Shi dépasse ici son style habituellement héroïque pour adopter une touche délicate et intime. L'emploi extensif de la personnification anime les chatons d'une présence quasi humaine. La langue, subtile et musicale, culmine dans l'audacieuse métaphore des "trois parts du printemps". L'alternance entre concret et abstrait, entre réel et imaginaire, confère au poème sa profondeur artistique et émotionnelle.

Éclairages

À travers le destin fragile des chatons, le poète reflète la condition humaine - errante, nostalgique, essentiellement solitaire. Cette tristesse n'est pas seulement personnelle mais existentielle. Le poème nous rappelle que les émotions les plus poignantes ressemblent à ces chatons : en apparence légers, ils portent le poids insoluble de la séparation. Ces "larmes des amants" invisibles constituent peut-être l'essence la plus pure de la mélancolie poétique.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Su Shi

Su Shi (苏轼), 1036 - 1101 après J.-C., originaire de la ville de Meishan, dans la province du Sichuan, était un écrivain talentueux de la dynastie des Song du Nord. Il était très doué pour la poésie, la prose et la fugue.

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