Qu’on étale un banquet somptueux!
Qu’on félicite les victorieux!
Qu’on dance ivre dans l’armure d’or!
Que les tambours ravivent les monts morts!
Poème chinois
「塞下曲 · 其四」
卢纶
野幕蔽琼筵, 羌戎贺劳旋。
醉和金甲舞, 雷鼓动山川。
Explication du poème
Quatrième poème de la série, cette œuvre dépeint le banquet triomphal organisé par le général victorieux dans les contrées frontalières après son retour de campagne. L'atmosphère joyeuse et exaltée contraste vivement avec les émotions tendues ou mélancoliques des trois poèmes précédents (adieux, expédition militaire, chasse nocturne), célébrant la gloire du héros revenu vainqueur. Ce poème incarne la vaillance des guerriers antiques tout en illustrant l'harmonie entre les peuples frontaliers unis dans la réjouissance.
Premier couplet : « 野幕蔽琼筵,羌戎贺劳旋。 »
Yě mù bì qióng yán, qiāng róng hè láo xuán.
Sous le dais sauvage, s'étale un festin somptueux ; Qiang et Rong viennent féliciter le général triomphant.
Ce couplet peint le banquet victorieux, centré sur « dais sauvage » et « Qiang-Rong ». Le « dais sauvage » souligne qu'il s'agit non d'un banquet citadin, mais d'un festin improvisé en campagne. Les « Qiang-Rong », ethnies frontalières, viennent spontanément saluer le retour du général, révélant subtilement que sa victoire ne repose pas seulement sur la force militaire, mais aussi sur sa vertu qui conquiert les cœurs. Ce détail donne à la scène une portée historique plus profonde.
Deuxième couplet : « 醉和金甲舞,雷鼓动山川。 »
Zuì hé jīn jiǎ wǔ, léi gǔ dòng shān chuān.
Ivres de joie, dans leurs armures dorées ils dansent ; Les tambours tonnerre ébranlent monts et rivières.
Ce couplet capture l'effervescence des soldats en liesse. La « danse en armure », inhabituelle, exprime l'exubérance libérée par la victoire. « Tambours tonnerre » porte l'émotion à son paroxysme - le roulement puissant comme l'orage symbolise la majesté militaire et magnifie la grandeur de la célébration.
Lecture globale
En quatre vers seulement, le poème orchestre une progression magistrale : du festin sous le dais, aux félicitations des tribus, puis à l'ivresse dansante, jusqu'aux tambours ébranlant la nature. L'intégration des ethnies frontalières ajoute une dimension politique à la réjouissance, transformant un banquet militaire en célébration multiethnique. Par un langage visuel saisissant, le poète restitue cette allégresse avec une verve qui transporte le lecteur au cœur de l'événement.
Spécificités stylistiques
- Economie verbale, richesse descriptive : Quatre vers suffisent à embrasser festin, hommages, danse et tambours.
- Harmonie interethnique, profondeur symbolique : La présence des Qiang-Rong symbolise autant la victoire que l'unité des peuples.
- Dialectique mouvement/repos, puissance tellurique : De la table immobile à la danse et aux tambours, le rythme s'accélère vers l'apothéose.
- Langage dense, souffle épique : Formules comme « danse en armure » ou « tambours tonnerre » frappent l'imaginaire par leur synesthésie.
Éclairages
Ce poème exalte par sa jubilation la victoire et la vertu du général, immortalisant le triomphe des guerriers frontaliers tout en célébrant la concorde interethnique. Il nous enseigne que la vraie victoire réside moins dans la conquête que dans la capacité à unir. Son langage concis mais vibrant rappelle que la gloire héroïque ne se mesure pas seulement au combat, mais aussi au pouvoir d'instaurer - par les armes comme par le cœur - une paix féconde en joies partagées.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Lu Lun (卢纶), vers l'an 748 - 798, était originaire de Yongji, dans la province de Shanxi, et l'un des « dix lettrés de la dynastie Dali ». Ses poèmes sont plus éloquents et sans retenue, avec de nombreux envois et récompenses, ainsi que des œuvres reflétant la vie des soldats et des militaires.