La Pie sur une Branche de Feng Yansi

que ta zhi · ting yuan shen shen shen ji xu
Quelle est la profondeur de la cour
Cachée par les saules à l'entour
Et par l’épaisseur des voilages,
Où, la bride en main, mon galant volage
Est allé au rendez-vous d’amour?
Je ne peux voir ses traces de ma haute tour.

Tard au troisième mois, la tempête est violente;
Ma porte est fermée à la nuit tombante.
Mais comment retenir la saison fleurissante?
Les yeux pleins de larmes, je parle aux fleurettes, Muettes,
Elles volent au-delà de l'escarpolette.

Poème chinois

「鹊踏枝 · 庭院深深深几许」
庭院深深深几许?柳堆烟,帘幕无重数。玉勒雕鞍游冶处,楼高不见章台路。
雨横风狂三月暮,门掩黄昏,无计留春住。泪眼问花花不语,乱红飞过秋千去。

冯延巳

Explication du poème

La datation exacte de ce ci reste incertaine. Bien que traditionnellement attribué à Feng Yansi, certains spécialistes penchent pour une paternité d'Ouyang Xiu. Le thème et l'orientation affective suggèrent une composition durant les loisirs de l'auteur, en dehors de ses activités politiques, ou peut-être comme exercice de style daiyanti (poème à voix prêtée). L'œuvre exprime avec une profonde mélancolie les sentiments d'une femme recluse dans les profondeurs d'une demeure, en proie à une attente vaine. Adoptant résolument une perspective féminine, le poème dépeint les fluctuations émotionnelles d'une épouse solitaire dont l'époux est absent, constituant ainsi un représentant éminent du style guiyuanci (chant de complainte féminine) caractéristique de la période s'étendant de la fin des Tang aux débuts des Song.

Première strophe : « 庭院深深深几许?柳堆烟,帘幕无重数。玉勒雕鞍游冶处,楼高不见章台路。 »
Tíngyuàn shēn shēn shēn jǐ xǔ ? Liǔ duī yān, liánmù wú chóng shù. Yù lè diāo ān yóu yě chù, lóu gāo bù jiàn Zhāngtái lù.
Ah ! qu'elles sont profondes, profondes, profondes, les cours de ce domaine !
Les saules s'amoncellent en brume, les tentures se multiplient à l'infini.
Lui, sur son fier destrier harnaché de jade, erre en des lieux de plaisir -
Du haut pavillon où je me hisse, impossible d'apercevoir la route de Zhangtai.

L'accumulation vertigineuse de l'adjectif "profond" (shēn) crée une impression d'enfouissement progressif, comme si la femme se trouvait engloutie dans les méandres de sa propre demeure. Les saules estompés de brume et les innombrables rideaux forment autant de voiles successifs qui obstruent autant la vue que l'esprit. La mention du "destrier harnaché de jade" campe avec élégance l'époux volage, tandis que la référence à "Zhangtai" (ce quartier de plaisir célèbre depuis les Han) confirme ses frasques. L'image finale de la femme scrutant en vain l'horizon du haut de son pavillon condense toute la douleur d'une épouse délaissée - l'élévation physique du pavillon contrastant cruellement avec l'abaissement moral de son statut conjugal.

Deuxième strophe : « 雨横风狂三月暮,门掩黄昏,无计留春住。泪眼问花花不语,乱红飞过秋千去。 »
Yǔ héng fēng kuáng sān yuè mù, mén yǎn huánghūn, wú jì liú chūn zhù. Lèi yǎn wèn huā huā bù yǔ, luàn hóng fēi guò qiūqiān qù.
Pluie torrentielle, vent déchaîné - ce crépuscule de mars,
Les portes closes sur le soir tombant… impuissante à retenir le printemps.
Mes yeux brouillés de larmes interrogent les fleurs, mais les fleurs se taisent,
Tandis qu'une nuée de pétales fous s'envole par-dessus l'escarpolette déserte.

La violence des éléments ("pluie torrentielle, vent déchaîné") fait écho aux tourments intérieurs de l'héroïne. Le "crépuscule de mars" et les "portes closes" symbolisent le double crépuscule - saisonnier et conjugal - qui s'abat sur elle. L'expression "impuissante à retenir le printemps" révèle toute l'amertume d'une femme qui ne peut arrêter ni le cours des saisons ni la fuite de son époux. La scène pathétique où elle s'adresse en vain aux fleurs ("les fleurs se taisent") souligne son isolement absolu, tandis que l'image finale des pétales survolant l'escarpolette inactive (jadis symbole de jeux amoureux) cristallise avec une grâce désolée la fin des jours heureux. Ce vers, par son économie de moyens et sa puissance évocatrice, est souvent considéré comme l'un des sommets de la poésie amoureuse chinoise.

Lecture globale

Ce ci (词), écrit à travers la voix d’une femme, exprime une mélancolie profonde et retenue, typique des chagrins intimes des gynécées. La première strophe passe du paysage à l’émotion : des « cours intérieures si profondes » jusqu’à la « route de Zhangtai », lointaine et inaccessible, dépeignant l’impuissance et l’amertume d’une femme qui contemple sans pouvoir atteindre. La seconde strophe inverse le mouvement, de l’émotion au paysage : pluies printanières, pétales emportés par le vent, tout exprime la solitude et la fuite de la jeunesse. Le poème entrelace constamment sentiments et paysages, créant une fusion parfaite. La profondeur des cours, les brumes de saules, la hauteur des pavillons, la violence oblique de la pluie, la solitude des fleurs tombées — chaque détail reflète l’enfermement et les désirs déçus de l’héroïne. D’une douceur poignante, ces vers tirent des larmes.

Spécificités stylistiques

Ce ci adopte le point de vue de son héroïne, déployant à travers les descriptions de l’environnement, des saisons et des éléments naturels une mélancolie subtile et profonde, imprégnée dans chaque détail. Le langage est délicat et raffiné : la répétition de « profond » (深深深) crée une beauté rythmique et expressive, renforçant l’intensité émotionnelle. Les images choisies — « route de Zhangtai », « saules en brume », « yeux en larmes interrogeant les fleurs », « rouge désordonné volant au vent » — sont riches en résonances culturelles, élargissant la profondeur du texte. La structure progresse du lointain au proche, du concret à l’abstrait, l’émotion s’amplifiant jusqu’à une projection totale du monde intérieur sur le paysage extérieur.

Éclairages

Ce ci nous révèle qu’au fond des gynécées, sous la pluie fine et parmi les fleurs tombées, bat un cœur sensible, ardent, mais impuissant, consumé par la solitude. Ce qu’il exprime dépasse la simple déception amoureuse : c’est le destin des femmes, prisonnières des rites traditionnels et d’une société inégale. Le poète, par son pinceau subtil, donne une voix à ce silence solitaire, faisant ressentir au lecteur la douleur de voir le printemps s’enfuir, l’amour s’éteindre, et l’être rester seul. Aujourd’hui encore, cette émotion trouve un écho profond, invitant à méditer sur des thèmes intemporels : l’accompagnement, la fidélité, la liberté.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong(许渊冲)

À propos du poète

Feng Yansi​​ (冯延巳, 903 - 960), originaire de Yangzhou dans le Jiangsu, fut un maître du ci sous les Cinq Dynasties. Son œuvre poétique, annonciatrice du style wanyue (élégant et retenu) des Song, rompit avec le style orné de l'école des Fleurs pour influencer directement les grands poètes des Song comme Yan Shu et Ouyang Xiu.

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