Que c’est difficile d écrire ce qu'on aime!
Un vers amélioré cent fois ne plaît pas même.
L’auteur ressemble à une fiancée coquette,
Qui ne se montre avant qu’elle ait fait sa toilette.
Poème chinois
「遣兴」
袁枚
爱好由来下笔难,一诗千改始心安。
阿婆还似初笄女,头未梳成不许看。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Yuan Mei, poète de la dynastie Qing, dans ses dernières années. Bien qu'intitulé « Divertissement », il s'agit en réalité d'une déclaration de principes poétiques et d'un autoportrait littéraire. Chef de file de l'école du « Lyrisme inné », Yuan Mei prônait une poésie exprimant des émotions authentiques, rejetant l'imitation stéréotypée et insistant sur la liberté créative. Mais ce défenseur du « naturel » n'était nullement un improvisateur - il accordait au contraire une extrême importance au travail minutieux du vers. Ce poème, par une ingénieuse analogie, exprime les difficultés de la création, l'acharnement à polir et la quête de perfection, se faisant à la fois autoportrait et manifeste artistique subtil.
Premier couplet : « 爱好由来下笔难,一诗千改始心安。 »
Àihào yóulái xiàbǐ nán, yī shī qiān gǎi shǐ xīn'ān.
Plus l'amour est profond, plus la plume hésite,
Mille retouches avant qu'un poème ne apaise l'esprit.
Le poète avoue avec franchise que l'amour même de la poésie rend l'écriture ardue, et que seul un labeur incessant (« mille retouches ») peut satisfaire son exigence. Ces vers révèlent qu'au-delà du « lyrisme inné », Yuan Mei cultive un art minutieux, montrant que la vraie création n'est pas déversement spontané mais purification constante de la pensée et de l'expression - un duel esthétique avec soi-même.
Deuxième couplet : « 阿婆还似初笄女,头未梳成不许看。 »
Āpó hái shì chūjī nǚ, tóu wèi shū chéng bùxǔ kàn.
Une aïeule, telle une jeune fille à sa majorité,
Ne se montre qu'une fois sa coiffure parfaite.
Cette image d'une vivacité remarquable illustre avec esprit la rigueur créative. Comme l'aïeule soignant sa toilette, le poète ne dévoile son œuvre qu'une fois achevée. La comparaison de l'aïeule avec le poète, et de la coiffure avec le poème, révèle une pudeur esthétique (« la honte de montrer l'ébauche ») et un respect sacré pour l'art poétique.
Lecture globale
Ce poème révèle, sous un ton en apparence léger et facétieux, l'exigence esthétique rigoureuse et l'esprit méticuleux qui animent le poète. Le premier vers établit que la difficulté de composer des vers naît d'une « passion », laquelle engendre respect et circonspection, aboutissant à cette exigence personnelle : « mille retouches avant d'être satisfait ». Le vers suivant use d'une métaphore savoureuse — une vieille femme refusant de se montrer avant d'avoir achevé sa coiffure — pour illustrer avec vivacité la réticence de l'auteur à dévoiler une œuvre inaboutie. D'une apparente simplicité mais d'une profondeur insoupçonnée, badin en surface mais grave au fond, ce poème allie langage familier et saveur poétique dans une construction rare chez Yuan Mei, où le « piquant » le dispute à la « gravité ».
Spécificités stylistiques
Le poème adopte la technique d'« exprimer des idéaux à travers des anecdotes », employant des images tirées du quotidien pour traduire les critères artistiques élevés et l'attitude rigoureuse du poète. Le langage, naturel et spirituel, coule avec une fluidité rafraîchissante, cachant une philosophie sous des apparences limpides. Le distique inférieur, comparant le poète à une « aïeule » coiffant une jeune fille, surprend par son à-propos, insufflant au poème autant de saveur que de profondeur. Ceci reflète le style caractéristique de Yuan Mei, où « l'extraordinaire jaillit du banal, la rigueur se cache sous la fadeur ». En apparence improvisé, le poème est en réalité porteur d'idéaux ; ses mots simples recèlent une profondeur inépuisable.
Éclairages
Ce poème nous enseigne qu'aucun accomplissement artistique véritable ne naît du hasard, mais toujours d'une alchimie entre passion, respect et recherche de l'excellence. Quelle que soit la forme de création, il faut, comme le dit Yuan Mei, « n'oser montrer son travail avant qu'il ne soit achevé » : même les œuvres les plus brèves demandent à être forgées et retravaillées sans relâche pour traverser les âges. Cette rigueur dans la sérénité, cette gravité sous le badinage, reste une leçon pour tous les créateurs contemporains — écrivains, artistes ou chercheurs. Seul un attachement obstiné au beau, joint à une honte salutaire devant la médiocrité, peut engendrer la véritable perfection.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Yuan Mei (袁枚, 1716 - 1797), natif de Qiantang (Hangzhou) dans le Zhejiang, fut le chef de file de l'école du « lyrisme intuitif » sous les Qing. Reçu docteur en 1739, il démissionna à 33 ans pour se retirer dans les Jardins de Suiyuan à Nankin. Théoricien du « naturel poétique », il excellait également dans la prose et le roman. Son recueil de notes Menu des Jardins de Suiyuan inaugura la littérature gastronomique chinoise. Avec Zhao Yi et Jiang Shiquan, il forma le « trio des grands maîtres de l'ère Qianlong ».