“ Si l’une nous mourait, ” était-ce un augure?
Mais cela s’est passé — quelle vérité dure! —
J’ai fait don de tes habits qui me faisaient peine,
Je n’ouvre pas ta boîte de ton ouvrage pleine.
Ta bonté me faisait bon envers tes servants;
Rêvant de toi, je fais aumône comme avant.
Je sais bien qu ’à la mort tout être humain est voué,
Mais un pauvre couple a beaucoup plus à déplorer.
Poème chinois
「遣悲怀 · 其二」
元稹
昔日戏言身后事,今朝都到眼前来。
衣裳已施行看尽,针线犹存未忍开。
尚想旧情怜婢仆,也曾因梦送钱财。
诚知此恨人人有,贫贱夫妻百事哀。
Explication du poème
"À mon épouse défunte II" de Yuan Zhen approfondit l'élégie conjugale avec une intensité psychologique rare. Composé dans la continuité du premier poème, ce deuxième volet explore les gestes du deuil à travers le prisme des objets domestiques, élevant le quotidien au rang de sacrement funéraire.
Premier distique : « 昔日戏言身后事,今朝都到眼前来。 »
Xīrì xì yán shēn hòu shì, jīnzhāo dōu dào yǎnqián lái.
Jadis plaisantant sur ce qui suivrait notre mort, Aujourd'hui chaque mot se réalise sous mes yeux.
Ce distique frappe par son réalisme macabre. Les "plaisanteries d'autrefois" (戏言) prennent rétrospectivement une dimension prophétique. Le contraste entre le passé ludique et le présent tragique crée une dissonance déchirante.
Second distique : « 衣裳已施行看尽,针线犹存未忍开。 »
Yīshang yǐ shī xíng kàn jǐn, zhēnxiàn yóu cún wèi rěn kāi.
Tes vêtements distribués peu à peu, Ton nécessaire à couture conservé, jamais rouvert.
Ce couplet capture l'ambivalence du deuil : le geste pratique de distribution ("déjà") contraste avec la relique intouchable ("jamais"). Le nécessaire à couture, symbole de l'épouse laborieuse, devient mausolée miniature.
Troisième distique : « 尚想旧情怜婢仆,也曾因梦送钱财。 »
Shàng xiǎng jiù qíng lián bìpú, yě céng yīn mèng sòng qiáncái.
Par amour pour toi, je chéris encore tes servantes, T'ayant rêvée, je t'envoyai de l'argent en songe.
L'économie onirique atteint ici son paroxysme. Le transfert d'argent dans le rêve révèle une tentative pathétique de perpétuer les soins conjugaux par-delà la mort. La fidélité aux servantes prolonge la présence de la défunte.
Quatrième distique : « 诚知此恨人人有,贫贱夫妻百事哀。 »
Chéng zhī cǐ hèn rénrén yǒu, pínjiàn fūqī bǎi shì āi.
Je sais bien que chaque cœur connaît cette douleur, Mais pauvres époux, en tout, souffrent plus cruellement.
Cette conclusion universelle ("chaque cœur") particularise pourtant la souffrance des couples pauvres. Le "en tout" (百事) suggère une accumulation de petites douleurs qui surpassent le chagrin conventionnel.
Lecture globale
« À mon épouse défunte II » poursuit le thème de la « Partie I », exprimant la profonde nostalgie et la douleur du poète envers son épouse défunte. À travers la description des objets laissés par son épouse, des épisodes oniriques et l'expression d'émotions intenses, le poème révèle la souffrance de Yuan Zhen après la perte de sa compagne. Dans ses souvenirs, le poète évoque à la fois la noblesse de son épouse et leur vie commune dans la pauvreté. Avec des traits de pinceau délicats, Yuan Zhen dépeint le dévouement de son épouse envers leur foyer, la profondeur de leur affection mutuelle, ainsi que la douleur inconsolable qui l'habite après leur séparation par la mort.
Le langage du poème est concis mais empreint de tendresse, particulièrement dans le traitement des objets ayant appartenu à l'épouse. À travers les gestes contradictoires de « donner » et « conserver », le poète exprime son intense nostalgie. L'acte « absurde » d'envoyer de l'argent dans un rêve révèle son attachement à la défunte, tout en renforçant son sentiment de solitude et sa quête mémorielle du passé.
Spécificités stylistiques
La particularité de ce poème réside dans son expression d'émotions profondes à travers un langage simple. En s'appuyant sur des détails quotidiens et des objets concrets (vêtements, boîte à couture, serviteurs), Yuan Zhen matérialise et incarne son chagrin, créant une émotion authentique et touchante. Par ailleurs, les actes illogiques dans ses rêves et les comportements contradictoires dans la vie réelle illustrent son incapacité à se détacher de son épouse. Avec un langage dépouillé, le poète expose sa douleur personnelle et son éternel souvenir, révélant ainsi son style artistique unique.
Éclairages
Ce poème reflète avec acuité la profondeur et la douleur de l'amour conjugal. À travers son deuil poignant, le poète exprime la complexité des sentiments entre amour et perte, vie et mort. Cette œuvre permet au lecteur de percevoir la précarité et la valeur des relations humaines, tout en témoignant de la résilience de l'amour dans l'adversité et la pauvreté. Il ne s'agit pas seulement du chagrin personnel de Yuan Zhen, mais d'une résonance universelle pour tous ceux qui ont perdu un être cher, nous rappelant de chérir nos proches - car par-delà richesse et pauvreté, l'affection demeure l'essentiel.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Yuan Zhen (元稹), 779 - 831 après J.-C., originaire de Luoyang, dans la province du Henan, fut pauvre dans ses jeunes années et devint fonctionnaire en 793 après avoir réussi l'examen impérial, mais il fut ensuite rétrogradé pour avoir offensé les eunuques et les bureaucrates démodés, et mourut d'une violente maladie sur le chemin de son poste. Il était ami avec Bai Juyi et écrivait souvent des poèmes ensemble.