Ivre, j’allumai la lampe et vis l’épée;
En rêve, j’entendis le cor de camp en camp.
Nos guerriers partageaient la viande grillée
Sous les bannières;
Cinquante cordes jouaient l’air martial des frontières.
On faisait la manœuvre d’automne au champ.
Les coursiers galopaient comme s’ils volaient;
Les cordes des arcs tendus résonnaient.
Le pays perdu reconquis,
Grand serait le renom acquis.
Hélas! sur ma tête les cheveux ont blanchi!
Poème chinois
「破阵子 · 为陈同甫赋壮词以寄之」
辛弃疾
醉里挑灯看剑,梦回吹角连营。八百里分麾下炙,五十弦翻塞外声,沙场秋点兵。
马作的卢飞快,弓如霹雳弦惊。了却君王天下事,赢得生前身后名。可怜白发生!
Explication du poème
Ce ci fut composé vers 1198 (4e année de Qingyuan sous l'empereur Ningzong des Song) alors que Xin Qiji, dont les propositions belliqueuses avaient été rejetées, vivait retiré près du lac Dai à Xinzhou (Jiangxi). Le "Chen Tongfu" mentionné dans le préambule - son ami Chen Liang - partageait avec lui l'ambition de reconquérir les plaines centrales. Ce poème véhicule une aspiration héroïque, tout en exprimant au vieil ami complicité et soutien, mais aussi les rêves inaltérés d'un patriote isolé.
Première strophe : « 醉里挑灯看剑,梦回吹角连营。八百里分麾下炙,五十弦翻塞外声,沙场秋点兵。 »
Zuì lǐ tiǎodēng kàn jiàn, mèng huí chuī jiǎo lián yíng. Bābǎi lǐ fēn huī xià zhì, wǔshí xián fān sàiwài shēng, shāchǎng qiū diǎnbīng.
*Ivre, je trime la mèche pour contempler mon épée ;
En rêve, je retrouve les camps où sonnent les clairons.
Huit cents *li* pour rôtir le bœuf partagé aux troupes,
Cinquante cordes vibrant aux chants des frontières -
L'automne sur le champ de bataille : la revue des troupes.*
Cette strophe recrée par le rêve l'atmosphère guerrière d'autrefois. Malgré sa retraite forcée, le poète revit par l'ivresse et le songe ses années militaires, fusionnant nostalgie et ardeur patriotique inassouvie.
Deuxième strophe : « 马作的卢飞快,弓如霹雳弦惊。了却君王天下事,赢得生前身后名。可怜白发生! »
Mǎ zuò dílú fēikuài, gōng rú pīlì xián jīng. Liǎoquè jūnwáng tiānxià shì, yíngdé shēngqián shēnhòu míng. Kělián báifà shēng!
Mon cheval, rapide comme le Dilu légendaire ; L'arc tonne comme la foudre, la corde vibre. Achever pour le souverain les affaires du monde, Gagner gloire éternelle - Hélas ! Voilà que blanchissent mes tempes !
Continuant le rêve, cette strophe dépeint une victoire éclatante et les hautes ambitions du poète. Mais le réveil brutal ("Hélas !") oppose à cette grandeur onirique la cruelle réalité d'un héros vieillissant et inemployé.
Lecture globale
Ce poème brise la structure conventionnelle des ci pour créer un flux continu : de l'ivresse au rêve épique, puis au réveil désenchanté. Xin Qiji utilise ce songe guerrier pour incarner ses idéaux inaccomplis, révélant sous des apparences paisibles une âme indomptée. Les scènes oniriques, entre hallucination et mémoire, reflètent avec acuité son impasse existentielle.
Les cinq derniers caractères ("Voilà que blanchissent mes tempes !") opèrent une chute vertigineuse, condensant tant une tragédie personnelle que le désespoir d'une époque. Alliant puissance et retenue, ce ci représente parfaitement l'art de Xin Qiji où "la poésie contient l'Histoire" et "le chant porte l'idéal".
Spécificités stylistiques
L'œuvre excelle dans l'alternance entre dépression et exaltation, réel et illusion. Le poème passe du concret (l'épée) au rêve, puis à la désillusion, créant une tension poétique remarquable.
Le langage, riche en verbes dynamiques ("trimer", "vibrer", "tonner") et onomatopées, anime des images vivantes. La structure fluide, sans rupture marquée, élève le ci à une unité narrative et lyrique rare, témoignant de l'innovation formelle de Xin Qiji.
Éclairages
Ce ci révèle non seulement l'idéal héroïque de Xin Qiji, mais aussi l'angoisse des patriotes face à un destin national déclinant. Il nous rappelle que si la réalité souvent trahit les idéaux, c'est précisément leur persistance - comme ces rêves de bataille - qui forge les consciences historiques. Cette ténacité indomptable, même vaine, constitue la part la plus lumineuse de l'esprit chinois.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Xin Qiji (辛弃疾), 1140-1207 après J.-C., originaire de Jinan, dans la province de Shandong, était un général, un lettré et un poète de la dynastie Song. Xin Qiji n'est pas seulement l'apogée de la scène littéraire des Song du Sud, mais aussi une figure clé de l'innovation des textes dans l'histoire littéraire chinoise. La vie de Xin Qiji était empreinte de patriotisme et de l'amertume d'une ambition inassouvie, et ses textes ne sont pas seulement un témoignage de l'époque, mais aussi un véritable portrait de son parcours.