Le palais embaumé de fleurs et de rosées,
Par la lune et les chants la salle est éclairée.
De l’eau de mer le clepsydre semble rempli,
Il s’égoutte mais jamais la nuit ne tarit.
Poème chinois
「宫怨」
李益
露湿晴花春殿香,月明歌吹在昭阳。
似将海水添宫漏,共滴长门一夜长。
Explication du poème
Ce poème dépeint le cruel contraste entre faveur impériale et disgrâce à la cour, utilisant le tic-tac interminable de la clepsydre comme symbole du ressentiment des femmes recluses dans le palais abandonné. Le palais Changmen, où l'empereur Wudi des Han relégua l'impératrice Chen, est devenu dans la poésie classique l'archétype de la mélancolie des courtisanes délaissées. Le poète oppose d'abord les joies du palais Zhaoyang (symbole de faveur) aux souffrances de Changmen, créant un contraste saisissant qui intensifie l'expression de la douleur.
Premier distique : « 露湿晴花春殿香,月明歌吹在昭阳。 »
Lù shī qíng huā chūn diàn xiāng, yuè míng gē chuī zài Zhāoyáng.
Rosée sur les fleurs printanières embaumant le palais,
Clair de lune sur chants et musiques à Zhaoyang.
D'un pinceau minutieux, le poète peint la splendeur nocturne de la cour. Les fleurs humides de rosée exhalent leur parfum dans l'air nocturne, créant une atmosphère de douce euphorie. Baigné de lune, Zhaoyang - quartier des favorites - retentit de musique ininterrompue. Ces vers ne décrivent pas seulement un paysage, mais incarnent le bonheur des élues, rendant l'éclat de la cour encore plus éblouissant.
Second distique : « 似将海水添宫漏,共滴长门一夜长。 »
Sì jiāng hǎishuǐ tiān gōng lòu, gòng dī Chángmén yīyè cháng.
Comme si l'eau de mer emplissait la clepsydre,
Dégouttant sans fin la longue nuit à Changmen.
Le ton bascule brutalement vers l'abandon de Changmen. Le tic-tac de la clepsydre (horloge à eau), normalement régulier, semble ici alimenté par l'infini océan, rendant la nuit interminable. Pour les recluses écoutant cette éternelle goutte d'eau, chaque instant devient supplice. L'image hyperbolique de "l'eau de mer" pousse l'expression de la détresse à son paroxysme.
Analyse approfondie
La force de ce poème réside dans son contraste violent entre deux réalités courtisanes. La description initiale des réjouissances à Zhaoyang prépare habilement la révélation de la misère à Changmen, l'opposition entre allégresse et isolement approfondissant l'émotion.
Sur le plan artistique, le poème utilise une structure en escalier : il installe d'abord l'image de la fête sans mentionner la mélancolie, immergeant le lecteur dans un monde de grâce et de luxe, avant de basculer vers Changmen, où la souffrance paraît d'autant plus cruelle. Le mot "dégoutter" (滴), symbolisant l'écoulement du temps, devient aussi le pouls de la solitude, intensifiant la tension dramatique.
Spécificités stylistiques
- Antithèse structurelle : Les deux premiers vers dépeignent le bonheur des favorites, les deux derniers la détresse des délaissées.
- Symbolisme naturel : Fleurs, lune et musique incarnent la faveur ; clepsydre et nuit sans fin matérialisent la disgrâce.
- Hyperbole significative : "L'eau de mer" dans la clepsydre exagère la perception douloureuse du temps.
- Progression émotionnelle : De la fête à l'abandon, de la joie éphémère à l'ennui éternel, la mélancolie s'approfondit par paliers.
Éclairages
Ce poème révèle l'instabilité du destin des femmes à la cour impériale, ballottées entre faveur et abandon. Au-delà du sort individuel, il dépeint avec acuité la condition féminine sous le système féodal. Par son art du contraste, le poète fait ressortir la polarisation de la vie courtoise, invitant le lecteur à méditer sur l'inconstance du destin humain. Ce chef-d'œuvre de mélancolie courtoise doit sa pérennité à sa puissance évocatrice, née de l'alliance entre description objective et émotion subjective.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Li Yi (李益), 748 - 829 après J.-C., originaire de Wuwei dans la province de Gansu, était l'un des « dix lettrés de la dynastie Dali », et est surtout connu pour ses écrits sur la frontière, en particulier ses strophes de sept syllabes.