Au printemps un grain de riz est semé,
En automne on en récolte des milliers.
Mais on a défriché la terre en vain,
Combien de paysans meurent de faim!
Poème chinois
「悯农 · 其一」
李绅
春种一粒粟,秋收万颗子。
四海无闲田,农夫犹饿死。
Explication du poème
Ce poème fut composé durant la période moyenne et tardive de la dynastie Tang, une époque marquée par des guerres incessantes et des taxes écrasantes, où les paysans luttaient pour survivre sous un système social profondément inéquitable. Li Shen, en tant que lettré-fonctionnaire ayant directement observé les souffrances du peuple, exprime à travers ces deux poèmes "Compassion pour les paysans" la détresse et l'impuissance des cultivateurs, leur donnant voix par des vers d'une simplicité poignante.
Premier distique : « 春种一粒粟,秋收万颗子。»
Chūn zhòng yī lì sù, qiū shōu wàn kē zǐ.
Un grain de millet semé au printemps,
En automne devient dix mille épis.
Ce distique décrit avec une simplicité rustique le cycle agricole et le fruit du labeur paysan. Apparemment idyllique, il prépare en réalité le contraste brutal du distique suivant. L'hyperbole "dix mille épis" (万颗子) souligne à la fois l'abondance naturelle et l'effort humain, suggérant une joie de la moisson qui ne sera pas au rendez-vous.
Deuxième distique : « 四海无闲田,农夫犹饿死。»
Sì hǎi wú xián tián, nóng fū yóu è sǐ.
Terre entière est cultivée sans friche,
Pourtant le paysan meurt de faim.
Ce vers répond au précédent par un réalisme cinglant. "Terre entière cultivée" (四海无闲田) montre l'absence de terres en jachère et une production théoriquement suffisante, tandis que "le paysan meurt de faim" (农夫犹饿死) révèle le tragique paradoxe d'une récolte qui ne nourrit pas ceux qui la produisent. En quelques traits, le poète expose la contradiction sociale fondamentale : dans un empire où toutes les terres sont exploitées, ceux qui font fructifier la terre en sont exclus, dénonçant ainsi l'exploitation féodale de la paysannerie.
Spécificités stylistiques
Li Shen construit un contraste saisissant en seulement quatre vers. Il excelle dans l'art de l'opposition : temporelle entre "semailles printanières" et "moissons automnales", spatiale entre "les quatre mers" et le "laboureur solitaire", créant une structure dramatique qui évolue de l'espoir au désespoir. Cette construction intensifie la portée critique du poème. Les trois derniers caractères "meurent encore de faim" frappent comme un coup de poing, simples mais déchirants, forçant le lecteur à partager la profonde compassion du poète et son interrogation douloureuse sur les injustices sociales.
Lecture globale
Ce poème est une œuvre rare des Tang qui ose affronter la misère des classes laborieuses. Avec une langue d'une concision remarquable, Li Shen révèle l'absurdité d'une société où abondance rime avec famine. Loin des clichés bucoliques, son regard acéré perce les apparences pour dénoncer le paradoxe fondamental des paysans "travaillant sans jouir". D'une clarté cristalline et d'une authenticité émotionnelle rare, ce poème réaliste marqua durablement la tradition poétique chinoise.
Éclairages
Plus qu'un témoignage sur la condition paysanne sous les Tang, ce poème invite à une réflexion intemporelle sur la justice sociale et l'équité économique. Son message résonne encore aujourd'hui : toute société qui néglige les droits des travailleurs et tolère l'exploitation mine ses propres fondements. Li Shen, par sa voix poétique, se fait l'avocat des sans-voix. Son humanisme et son courage incarnent l'éthique essentielle de l'intellectuel engagé.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Li Shen (李绅), 772 - 846 après J.-C., était premier ministre et poète de la dynastie Tang. Né à Huzhou, dans la province du Zhejiang, Li Shen a étudié dans sa jeunesse au temple Huishan, dans la province du Jiangsu, et a été l'ami intime de Yuan Zhen et de Bai Juyi. La partie la plus brillante de sa vie a été la poésie, et il a participé au mouvement de la nouvelle musique, qui a eu un grand impact sur l'histoire de la littérature.