Cinq mille guerriers ont péri dans la poussière,
Jurant de vaincre l’ennemi au prix de leurs vies.
Ceux dont les os gisent au bord de la rivière
Hantent encore les rêves de leurs femmes chéries.
Poème chinois
「陇西行」
陈陶
誓扫匈奴不顾身,五千貂锦丧胡尘。
可怜无定河边骨,犹是深闺梦里人。
Explication du poème
Ce poème bouleversant, deuxième volet des "Chants du Longxi" de Chen Tao, dénonce l'horreur des guerres frontalières sous les Tang déclinants. Composé après la révolte d'An Lushan, il révèle par un fragment onirique la tragédie humaine derrière les faits d'armes, transformant une scène de bataille en requiem universel pour les familles brisées.
Premier distique : « 誓扫匈奴不顾身,五千貂锦丧胡尘。 »
Shì sǎo Xiōngnú bùgù shēn, wǔqiān diāojǐn sàng hú chén.
"Vaincre les Xiongnu" jurèrent-ils, corps offerts, Cinq mille manteaux de martre ensevelis dans les sables.
Le serment inaugural ("jurèrent-ils") sonne comme un glas. L'oxymore "manteaux de martre" (symbole de prestige) / "sables barbares" crée une tension insoutenable. La disparition des corps dans la poussière ("ensevelis") suggère l'anéantissement total, sans sépulture ni mémoire. Une économie de mots qui dit l'indicible.
Second distique : « 可怜无定河边骨,犹是深闺梦里人。 »
Kělián Wúdìng hé biān gǔ, yóu shì shēnguī mèng lǐ rén.
Pauvres ossements aux rives capricieuses, Eux qui hantent encore les rêves des gynécées.
Ce couplet, chef-d'œuvre de poésie engagée, opère une transfiguration macabre. La "rivière Sans-Retour" (无定) devient fleuve Styx oriental, tandis que "gynécées" évoque l'intimité violée par la guerre. Le contraste entre la décomposition ("ossements") et la permanence onirique est d'une cruauté sublime.
Lecture globale
Chen Tao construit ici une antithèse parfaite entre l'héroïsme officiel (distique 1) et son coût humain (distique 2). La chute révèle l'imposture des récits guerriers : ce ne sont pas des héros, mais des maris dont les veuves ignorent encore le sort. Le poème atteint une puissance tragique comparable aux grandes œuvres pacifistes occidentales, mais avec l'ellipse typique de l'esthétique chinoise.
Spécificités stylistiques
- Dialectique mort/rêve : La matérialité des os s'oppose à l'immatérialité du songe
- Toponymie symbolique : La rivière "Sans-Retour" devient personnage à part entière
- Synecdoque : Les "manteaux de martre" représentent toute une génération sacrifiée
- Temporalité brisée : Le présent ("hantent") nie la mort, créant une dissonance déchirante
Éclairages
Plus qu'un poème anti-guerre, c'est une méditation sur le deuil impossible. Ces femmes qui rêvent de morts ignorés préfigurent nos "disparus" contemporains. La force subversive réside dans ce qu'il tait : nulle mention de gloire ou d'empereur, seulement l'éternel retour des fantômes privés. Une œuvre qui, douze siècles plus tard, questionne encore le prix de toute guerre - non en statistiques, mais en rêves brisés.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Chen Tao (陈陶) était un poète de la fin de la dynastie Tang, originaire de Poyang, dans la province de Jiangxi. La plupart de ses poèmes traitent de paysages et certains expriment son sentiment d'être méconnu. Célèbre pour ses poèmes, il s'est rendu à Chang'an, mais n'a pas obtenu de bourse d'études.