Sur 1’ eau printanière est amarré un bateau;
On ne veut pas se séparer jusqu' à l’ivresse.
Malgré le vent et la pluie, la brume et le flot.
On part au sud en apportant notre tristesse.
Poème chinois
「柳枝词」
郑文宝
亭亭画舸系春潭,直到行人酒半酣。
不管烟波与风雨,载将离恨过江南。
Explication du poème
Ce poème fut composé vers 975 (8ème année de Kaibao des Song du Nord), peu après la chute des Tang du Sud. Bien qu'ancien ministre des Tang du Sud, Zheng Wenbao fut recruté par les Song du Nord et nommé à l'Académie Guangwen. Ce poème, écrit durant sa carrière officielle, exprime à travers une scène d'adieu une profonde mélancolie de séparation, reflétant peut-être aussi ses propres tourments lors de ce changement de régime et d'exil loin de sa patrie.
Premier couplet : « 亭亭画舸系春潭,直到行人酒半酣。 »
Tíng tíng huà gě xì chūn tán, zhí dào xíng rén jiǔ bàn hān.
Élégant bateau peint amarré au printanier étang,
N'appareillant qu'une fois le voyageur à moitié ivre.
"Élégant", terme habituellement réservé aux humains, décrit ici le bateau avec une originalité qui lui confère grâce et légèreté. "Amarré au printanier étang" évoque implicitement les saules du titre, formant le décor des adieux. Le premier vers crée une atmosphère de retard volontaire, tandis que le second montre le voyageur ne partant qu'après avoir bu - révélant leur attachement mutuel. Ces deux vers juxtaposent paysage et sentiment, exprimant avec subtilité l'affection persistante et l'amertume de la séparation.
Deuxième couplet : « 不管烟波与风雨,载将离恨过江南。 »
Bù guǎn yān bō yǔ fēngyǔ, zǎi jiāng lí hèn guò jiāngnán.
Dédaignant brumes, vagues, vent et pluie,
Il emportera ce chagrin d'adieu vers le sud du fleuve.
Le couplet final concrétise le départ, le bateau emmenant son lourd fardeau de tristesse. "Dédaignant" traduit une froide résignation - ni les intempéries ni le chagrin ne peuvent retarder l'inévitable. "Emportera ce chagrin" personnifie remarquablement la douleur de séparation, lui donnant poids et substance pour ce long voyage. Cette matérialisation ingénieuse de l'émotion abstraite intensifie la profondeur du "chagrin d'adieu", tout en révélant la résignation du poète face au destin et une sourde révolte contre cette séparation.
Lecture globale
Intitulé "Branche de saule", ce poème évoque sans la nommer la coutume d'offrir des rameaux de saule (dont le nom chinois "liu" est homophone de "retenir") en gage d'adieu. Sous l'apparente scène de départ - une barque peinte amarrée au printemps - se cachent l'amertume existentielle du poète et son sentiment d'errance. La mélancolie s'intensifie progressivement : de l'immobilité du bateau à l'ivresse légère du voyageur, puis aux intempéries traversées avec "tout le poids du chagrin", pour s'épanouir enfin dans l'immensité du "sud du fleuve", tel un rouleau peint des adieux printaniers.
Le génie réside dans sa subtilité : la tristesse ne s'exprime jamais directement mais à travers les objets - la barque qui "attend", l'étang printanier si "calme", le chagrin si "lourd". L'expression "charger le chagrin du départ" matérialise la douleur de la séparation, renforçant la puissance émotionnelle.
Spécificités stylistiques
Ce poème allie invention ingénieuse et retenue émotive. Barque peinte, étang printanier, brumes fluviales - chaque image porte discrètement l'adieu. Le langage concis mais profond culmine avec "charger le chagrin", matérialisant l'abstrait. Scènes et sentiments s'entrelacent, le réel et l'imaginaire se répondent, révélant sous une apparente quiétude des profondeurs troublées, témoignant de l'art unique du poète.
Éclairages
En quatre vers, ce poème dévoile l'indicible des séparations : l'émotion véritable réside moins dans les mots que dans les détails silencieux. Comme le voyageur emporté par son destin, nous traversons l'existence, mais c'est dans les attentes immobiles ("barque non encore partie") et les épreuves endurées ("intempéries traversées") que se révèlent les sentiments les plus vrais. Ce poème nous enseigne à chérir l'instant présent et à percevoir, dans l'inconstance du sort, la persistance de la tendresse humaine.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Zheng Wenbao (郑文宝, 953 - 1013), originaire de Ninghua (Fujian), poète et calligraphe du début des Song. Reçu docteur en 983, sa poésie limpide et suggestive, proche du style tardif des Tang mais économe en allusions, offrait une alternative rafraîchissante au style orné alors en vogue.