Je m’enivre sur le Côte Est, et puis
Dégrisé, je retourne chez moi à minuit.
Mon valet ronfle comme le tonnerre,
Je frappe, personne ne m’ouvre. Que faire?
Appuyé sur une canne de bambou,
J’écoute le clapotement du fleuve doux.
Je regrette de ne pas être
De moi-même le maître.
Quand saurais-je oublier
Le monde épris de vanité?
La nuit s’avance,
Le vent s’apaise avec les rides de l’eau.
Sur la mer immense
Je voudrais passer ma vie dans un bateau.
Poème chinois
「临江仙 · 夜归临皋」
苏轼
夜饮东坡醒复醉,归来仿佛三更。家童鼻息已雷鸣。
敲门都不应,倚杖听江声。
长恨此身非我有,何时忘却营营。夜阑风静縠纹平。
小舟从此逝,江海寄余生。
Explication du poème
Ce poème fut composé par Su Shi durant sa troisième année d'exil à Huangzhou, dépeignant ses réflexions nocturnes lors d'un retour de beuverie à la Demeure des Neiges de Dongpo. À travers ce périple nocturne entre ivresse et rêveries fluviales, le poète exprime son lassitude des affaires officielles et son idéal de transcendance, révélant une âme libérée des mondanités et en communion avec la nature.
Première strophe : « 夜饮东坡醒复醉,归来仿佛三更。家童鼻息已雷鸣。敲门都不应,倚杖听江声。 »
Yè yǐn dōngpō xǐng fù zuì, guīlái fǎngfú sāngēng. Jiā tóng bíxī yǐ léimíng. Qiāo mén dōu bù yīng, yǐ zhàng tīng jiāng shēng.
Ivresse à Dongpo, entre éveil et beuverie, / Mon retour se fait dans la brume de la troisième veille. / Le souffle de mon valet tonne comme l'orage. / Mes coups à la porte restent sans réponse, / Je m'appuie à mon bâton, écoutant le fleuve.
Les termes "éveil et beuverie" et "brume" traduisent une ivresse flottante. Le ronflement du valet, la porte close, puis l'écoute du fleuve créent un contraste entre bruit et silence, peignant une nuit profonde et une solitude existentielle. Cette progression esquisse l'image d'un "ermite" détaché du monde.
Seconde strophe : « 长恨此身非我有,何时忘却营营。夜阑风静縠纹平。小舟从此逝,江海寄余生。 »
Cháng hèn cǐ shēn fēi wǒ yǒu, hé shí wàngquè yíng yíng. Yè lán fēng jìng hú wén píng. Xiǎo zhōu cóng cǐ shì, jiāng hǎi jì yúshēng.
Amère conscience que ce corps n'est pas mien, / Quand oublierai-je ce vain tourbillon ? / Nuit profonde, vent calmé, rides soyeuses sur l'eau. / Une barque désormais m'emportera, / Confiant au fleuve et à la mer le reste de mes jours.
Cette strophe bascule vers la méditation philosophique. "Ce corps n'est pas mien" déplore l'aliénation bureaucratique, tandis que "confiant au fleuve" proclame une rupture définitive avec le monde. Le paysage nocturne ("rides soyeuses") devient support d'une sagesse unissant l'homme et l'univers.
Lecture globale
Structuré comme un voyage spirituel, le poème progresse de l'ivresse à la contemplation, puis à l'illumination. Le mouvement physique (retour nocturne) se double d'une quête métaphysique, aboutissant à la vision libératrice de la barque fluviale. Cette trajectoire illustre le génie de Su Shi pour transformer l'expérience banale en allégorie existentielle.
Spécificités stylistiques
- Économie narrative : Une simple sortie devient odyssée intérieure
- Synesthésie : Fusion des perceptions (ronflement/tonnerre, eau/soie)
- Dichotomie résolue : Opposition corps/esprit transcendée par l'image fluviale
- Rythme ternaire : Ivresse → Silence → Libération
Éclairages
Cette "barque existentielle" offre un paradigme universel : lorsque les institutions déçoivent, la nature devient ultime refuge. Su Shi transforme sa disgrâce politique en liberté poétique, suggérant que la vraie émancipation commence par le renoncement. Son chant du départ résonne comme un manifeste pour l'authenticité contre les faux-semblants sociaux.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Su Shi (苏轼), 1036 - 1101 après J.-C., originaire de la ville de Meishan, dans la province du Sichuan, était un écrivain talentueux de la dynastie des Song du Nord. Il était très doué pour la poésie, la prose et la fugue.