Un Taverne II de Wang Ji

guo jiu jia ii
Me noyant toute la journée dans le vin,
Je ne tolère pas de chagrin.
Quand tout le monde de vin est ivre,
Pourquoi est-ce que je m'en délivre?

Poème chinois

「过酒家 · 其二」
此日长昏饮,非关养性灵。
眼看人尽醉,何忍独为醒!

王绩

Explication du poème

Composé à la charnière des dynasties Sui et Tang, ce poème naquit dans un contexte de troubles sociaux et d'effondrement politique. Wang Ji, témoin de la corruption officielle et des souffrances populaires, nourrissait une profonde indignation. Ancien secrétaire impérial ayant démissionné pour se retirer dans son village, il trouvait refuge dans le vin et la poésie. Cette pièce, la seconde d'une série, dissimule sous les apparences de l'ivresse sa colère face au chaos du siècle, exprimant la solitude d'"être le seul sobre dans un monde ivre".

Premier distique : « 此日长昏饮,非关养性灵。 »
Cǐ rì cháng hūn yǐn, fēi guān yǎng xìnglíng.
Ces jours-ci, mon ivresse est sans fin,
Mais point n'est question de nourrir mon âme.

D'emblée, le poète avoue son alcoolisme chronique, rejetant toute justification spirituelle - révélant que son vin n'est qu'un exutoire à sa révolte impuissante. Cette confession autocritique, teintée d'amertume, trahit l'angoisse d'un homme écrasé par l'impuissance à changer le cours des choses.

Deuxième distique : « 眼看人尽醉,何忍独为醒! »
Yǎn kàn rén jìn zuì, hé rěn dú wéi xǐng!
Voyant tout le monde ivre,
Comment supporter d'être le seul lucide ?

Le poème culmine dans ce paradoxe déchirant : dans un univers où "tous sont ivres" (人尽醉), la lucidité devient insoutenable. Refusant de sombrer dans la médiocrité générale mais incapable de supporter le fardeau de sa clairvoyance, le poète incarne la figure tragique du lettré déchiré. Cette allusion au mythe de Qu Yuan ("Tous ivres, moi seul sobre") cristallise sa révolte solitaire face à la dégradation collective.

Lecture globale

En vingt caractères seulement, ce poème déploie une intensité émotionnelle et une profondeur conceptuelle remarquables. Le poète utilise l'ivresse comme masque de la lucidité, transformant le vin en bouclier spirituel pour exprimer son désenchantement face à son époque. Sa "soif" n'est pas réelle - c'est l'impossibilité de trouver la clarté dans un monde chaotique qui le pousse à cette posture, faisant de l'ébriété une forme de résistance ironique. Sans critique explicite du pouvoir, le contraste entre "tous ivres" et "seul sobre" construit un ordre moral inversé, provoquant une prise de conscience salutaire. D'une apparente simplicité, le texte prolonge son écho bien au-delà de sa lecture, dépeignant autant un destin individuel qu'un miroir de la condition humaine.

Spécificités stylistiques

Le langage dépouillé mais puissant s'appuie sur l'antiphrase et les contrastes pour amplifier sa tension émotionnelle. Le poème feint de chanter l'ivresse pour mieux célébrer la veille ; il simule la fuite pour mieux aiguiser son regard critique. Le déni auto-ironique des "longues beuveries" et du "sans rapport avec l'élévation spirituelle" dévoile une dénonciation sociale cinglante sous couvert de sobriété lexicale. Cette fusion de concision extrême et de profondeur philosophique incarne le style austère et tranchant de Wang Ji, tout en reflétant l'idéal esthétique de franchise qui marqua la transition entre les Sui et les Tang.

Éclairages

Ce poème condense une question universelle : lorsque la société entière sombre dans l'ivresse complice, les veilleurs se retrouvent cruellement isolés. Par son "rester seul éveillé", Wang Ji expose la condition douloureuse des intellectuels lucides en temps de troubles. Son œuvre nous somme de choisir : suivre le courant des illusions collectives ou préserver sa conscience intérieure ? En une épure verbale, le poète cartographie un dilemme existentiel qui continue d'interroger notre rapport à la vérité et à l'authenticité humaine.

Traducteur de poésie

Xu Yuanchong

À propos du poète

Wang Jie (王绩, v. 589 AD - 644 AD), originaire de la ville de Tonghua, comté de Wanrong, province de Shanxi, était un poète de la dynastie Tang qui s'adonnait au vin.

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