On pêche dans la baie verte au printemps,
Quand pêle-mêle tombent les fleurs d’abricotier.
L’eau claire du lac révèle peu de profondeur,
Les poissons dispersés agitent les lotus en fleur.
Le soleil couché, on attend sa bien-aimée,
La barque ombragée sous le saule verdoyant.
Poème chinois
「钓鱼湾」
储光羲
垂钓绿湾春,春深杏花乱。
潭清疑水浅,荷动知鱼散。
日暮待情人,维舟绿杨岸。
Explication du poème
Ce délicat poème printanier de Chu Guangxi, joyau de l'âge d'or des Tang, métamorphose une scène de pêche en allégorie amoureuse. Sous des apparences bucoliques, se cache l'attente anxieuse d'un jeune homme guettant l'arrivée de sa bien-aimée. Le poète fusionne paysage et sentiment avec une grâce typiquement tang, où chaque détail naturel devient miroir de l'âme.
Premier distique : « 垂钓绿湾春,春深杏花乱。 »
Chuí diào lǜ wān chūn, chūn shēn xìng huā luàn.
Pêchant dans la crique émeraude en ce printemps, Printemps avancé où s'égarent les fleurs d'abricotier.
L'ouverture plante un décor sensoriel foisonnant. Le vert aquatique ("crique émeraude") dialogue avec le rose vif des fleurs ("s'égarent" suggérant autant leur profusion que le trouble du jeune homme). La répétition de "printemps" crée un effet d'écho, comme si la saison amplifiait l'émotion contenue.
Second distique : « 潭清疑水浅,荷动知鱼散。 »
Tán qīng yí shuǐ qiǎn, hé dòng zhī yú sàn.
L'étang si clair paraît peu profond, Un frémissement de lotus trahit la fuite des poissons.
Ce couplet virtuose opère une transmutation alchimique : la pêche ratée devient métaphore de l'attente déçue. "Paraît peu profond" révèle l'impatience du regard, tandis que "frémissement de lotus" capture ce moment où l'espoir (la bien-aimée approchant ?) se change en déception (simple poisson s'échappant). L'art de suggérer l'émotion par le détail naturel atteint ici sa perfection.
Troisième distique : « 日暮待情人,维舟绿杨岸。 »
Rì mù dài qíng rén, wéi zhōu lǜ yáng àn.
Au crépuscule j'attends encore mon aimée, Mon bateau amarré sous les saules verts.
La révélation finale transforme rétrospectivement tout le poème. "Mon bateau amarré" devient symbole de constance amoureuse, tandis que "sous les saules verts" (arbre des séparations dans la symbolique chinoise) ajoute une nuance de mélancolie. Le contraste entre l'immobilité du bateau et le flux des émotions est particulièrement poignant.
Lecture globale
Ce mini-drame pastoral en trois actes (mise en scène printanière, faux-semblants aquatiques, aveu crépusculaire) exemplifie l'art tang de la suggestion. La "pêche" se révèle être une quête amoureuse, où chaque élément naturel - des pétales aux poissons - participe à cette chorégraphie des sentiments. La chute, pudique mais claire, donne soudain profondeur à ce qui semblait n'être qu'une vignette paysagère.
Spécificités stylistiques
- Économie de moyens : 30 caractères suffisent à construire une narration complète avec rebondissement.
- Jeu sur les perceptions : Les verbes de doute ("paraît", "trahit") créent une tension subtile.
- Symbolisme végétal : Abricotiers (jeunesse), lotus (pureté), saules (attachement) tissent un réseau métaphorique cohérent.
- Rythme temporel : De l'après-midi ("printemps avancé") au crépuscule, le temps qui passe accentue l'émotion.
Éclairages
Ce poème transforme l'acte d'attendre en performance artistique. Dans notre ère d'immédiateté, il rappelle la puissance poétique de la patience. Le jeune homme ne maudit pas son sort - il sublime sa déception en beauté. Une leçon sur l'art de transfigurer les frustrations amoureuses par le regard esthétique : là où le profane ne verrait qu'une pêche infructueuse, le poète découvre un ballet de signes où nature et passion se répondent.
Traducteur de poésie
Xu Yuanchong(许渊冲)
À propos du poète
Chu Guangxi (储光羲), vers 706 - 763 après J.-C., était un fonctionnaire de la dynastie Tang, originaire de Yanling, Runzhou. Il était l'un des poètes représentatifs de l'école de la poésie du paysage idyllique.